Le rire pour résister

Photo : Lisa Morisseau /EPJT

Photographe et stand-upper, Nicolas Tawk milite pour la liberté d’expression par l’humour. Il veut encore croire qu’un changement politique est possible. Il attend le résultat des prochaines élections législatives pour décider s’il reste ou quitte le pays du Cèdre.

Par Lisa Morisseau avec Flavie Motila

Dans le quartier d’Hamra, au cœur de Beyrouth, se cache au premier étage d’un immeuble résidentiel la librairie-café Barzakh. Aucune enseigne ou indication ne laisse penser au visiteur que se cache ici un lieu ouvert au public. Ce soir, comme chaque mercredi, c’est scène ouverte pour le stand-up, tout le monde peut venir s’emparer du micro. Nicolas Tawk quitte la scène. Il vient de finir son sketch. Le public encore hilare se prépare à écouter un autre humoriste. Ici, c’est la deuxième maison de Nicolas Tawk : « Face à la crise que nous vivons, ce lieu est nécessaire. Venir ici et rire fait un bien fou, c’est une des seules choses qui nous restent. »

La librairie Barzakh, un lieu convivial au décor chaleureux.

Nicolas Tawk a 30 ans. Il a commencé ses premiers numéros il y a quatre ans. Stand-upper le soir, photographe et vidéaste indépendant le jour, il travaille actuellement sur un documentaire sur la liberté d’expression sous le prisme de la comédie. Quand il n’est pas sur scène, Nicolas Tawk s’active à filmer l’open mic et l’atmosphère chaleureuse de cette librairie qui attire un public de jeunes diplômés. La librairie-café est idéale pour son sujet car « c’est l’unique lieu du Liban où la liberté d’expression est garantie. Ici, nous parlons littéralement de tout, religion, politique, sexe, etc… Nous n’avons pas de problème parce que c’est une scène underground ».

En revanche, au quotidien et sur les réseaux sociaux, les Libanais doivent surveiller leurs propos. « Si tu fais une blague sur le président, tu peux être convoqué par les autorités pour une enquête. » Il en a déjà fait les frais : « Une semaine après l’explosion du port, je participais à une manifestation, je filmais d’un côté la destruction du port et de l’autre, les policiers qui nous aspergeaient de bombes lacrymogènes. Bizarrement, les policiers ont été gentils avec moi, ils ont vu que j’étais inoffensif car je filmais seulement. »

Dans ses sketchs, la crise économique et politique, il l’aborde mais toujours en relation avec sa vie personnelle. « Je veux surtout que le public s’identifie. » Ses thèmes de prédilection : la relation avec ses parents, les différences culturelles entre les Beyrouthins et les autres Libanais, les comportements des « citadins qui lui tapent sur les nerfs ». Dans la librairie, des Libanais de toutes confessions se mélangent. « Je suis chrétien, mais je fais aussi des blagues sur les chiites, sur les sunnites. Ici, tout le monde fait des blagues sur tout le monde, et c’est totalement accepté. Dans mon sketch, je me moquais du fait que les chiites au Liban célèbrent Noël plus que les chrétiens et il n’y a pas de soucis. »

« [Cette clique au pouvoir] est présente depuis trente ans, c’est comme un cancer qui s’est répandu partout. »

L’avenir de Nicolas est incertain. Le pays se vide des Libanais, qui s’exilent à l’étranger. Lui attend les résultats des élections législatives de mars 2022 pour savoir s’il reste. Si un groupe de députés qui rejettent le système confessionnaliste est élu, cela sera pour lui signe d’espoir, il restera au Liban. « Le parlement compte 128 membres. Si 15 députés antisystème sont élus, ce sera un immense succès. Il ne faut pas espérer plus. Ce système est présent depuis trente ans, c’est comme un cancer qui s’est répandu partout. Il n’est pas facile de s’en débarrasser. »

Partir vivre à l’étranger serait un dernier recours. Dans sa troupe de comédiens, le Comedy Club Night, la moitié a déjà quitté le Liban. « Je ne peux pas m’imaginer à Dubaï ou n’importe où ailleurs. Je regarde les storys sur Instagram d’amis comédiens à l’étranger et je pense que, si j’étais là-bas, je me suiciderais. »

Nicolas Tawk, malgré sa jeunesse, a déjà vécu plusieurs vies. Il a dû recommencer cinq fois sa carrière. « En 2016, j’ai eu un grave accident. Je suis resté alité pendant un an et demi. J’ai quitté mon ancien job pour la photographie et le stand-up. J’ai dû recommencer à zéro. Ensuite, pendant la révolution [les événements d’octobre 2019, NDLR], tout s’est arrêté. J’ai dû ensuite reprendre tout du début. Puis cela s’est reproduit avec l’explosion. Aujourd’hui, je n’ai plus la force de tout recommencer en partant vivre à l’étranger », explique-t-il.

Nicolas sur la scène de la librairie Barzakh. Photo : Flavie Motila/ EPJT