De l’intime au politique

Photo : Eléa N’Guyen Van- Ky /EPJT

Étudiante en affaires internationales, Ghiya El Assaad milite au sein du parti Minteshreen. Une organisation dirigée par des jeunes qui rejettent le système politique libanais actuel. Son objectif : transformer le Liban en un État plus juste.

Par Lisa Morisseau

L’espace est vaste et lumineux, les murs sont d’un blanc immaculé. De grandes affiches les recouvrent. On peut y lire des stratégies électorales, la répartition de la population libanaise selon les communautés, des sondages. « Ici, nous sommes dans la war room [la salle de guerre, NDLR] », indique Ghiya El Assaad, membre du bureau du parti Minteshreen.

Le rendez-vous se déroule au siège du Minteshreen, dans un quartier proche du port de Beyrouth. Un parti politique mené par des jeunes aux idées progressistes qui souhaitent créer un Liban laïque. D’un mouvement politique créé lors des manifestations d’octobre 2019, il s’est mué en parti politique au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020.

« Minteshreen est né d’un groupe Whatsapp grâce auquel des jeunes communiquaient pour se rassembler pendant les manifestations d’octobre 2019 », raconte Ghiya. L’explosion a été un « tournant » pour le mouvement. « Ce jour-là, nous sommes tous descendus dans les rues pour nettoyer et soutenir les personnes les plus affectées. Trois jours plus tard, nous sommes allés manifester devant le parlement pour demander des comptes. Le pouvoir a répondu en envoyant les forces de l’ordre réprimer brutalement le rassemblement. »

« L’establishment politique est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir »

À ce moment, les jeunes prennent conscience du fait que « l’establishment politique est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Si nous voulions du changement, nous devions créer notre parti politique ». Le parti prend le nom de Minteshreen. « Min » signifie « depuis » en arabe et « Teshreen », octobre. Le mot Minteshreen veut aussi dire propagation. Le nom du parti pourrait se traduire en français comme : répandu depuis octobre.

La place des Martyrs. Photo : Camille Granjard/ EPJT

Ghiya El Assaad, 22 ans, est étudiante en affaires internationales. Elle a rejoint le parti il y a un an mais la politique a toujours tenu une grande place dans sa vie. C’est de famille. « Lors de chaque réunion familiale, nous parlons d’histoire, nous abordons la situation politique. Grandir en écoutant les conversations de mes parents, de mes oncles et de mes tantes a éveillé mon intérêt », confie-t-elle. La mort de son cousin quand elle avait 14 ans a donné à la politique un rôle central dans sa vie. Le jeune homme de 27 ans a été tué par balle lors d’une manifestation.

« Cela a été mon premier traumatisme, se remémore l’étudiante, cheveux couleur ébène, regard intense. Je me suis mise à lire beaucoup car je voulais connaître la situation du Liban pour comprendre pourquoi cela s’était passé. » Cette soif de comprendre le monde qui l’entoure l’a amenée à suivre une licence de sciences politiques et aujourd’hui, un master en affaires internationales.

« Nous sommes d’abord des citoyens libanais avant d’être musulman, chrétien… Au sein de Minteshreen, nous voulons un Liban pour tous »

Sa famille rejette le confessionnalisme comme système politique. Une position assez rare dans la société libanaise. Son éducation laïque explique notamment son adhésion à Minteshreen. Le parti refuse lui aussi le confessionnalisme qui régit le pouvoir au Liban. « C’est un problème pour la démocratie au Liban », estime Ghiya qui considère que l’identité des Libanais ne doit pas être définie par une religion. « Nous sommes d’abord des citoyens libanais avant d’être musulman, chrétien… Au sein de Minteshreen, nous voulons un Liban pour tous », affirme-t-elle.

Le jeune parti pèse encore peu dans l’échiquier politique libanais. Mais il a remporté plusieurs victoires significatives au cours de l’année. Minteshreen a soutenu les candidats indépendants aux élections étudiantes des universités. Elles ont été marquées par une victoire de l’opposition, à laquelle Minteshreen appartient. « Nous observons un réel changement car, traditionnellement, on retrouvait à l’université les mêmes formations qu’au parlement », indique Ghiya.

Le port de Beyrouth détruit par l’explosion du 4 août 2020. Photo : Camille Granjard/EPJT

Les idées de Minteshreen gagnent aussi du poids dans les syndicats professionnels. L’opposition et les indépendants – soutenus par Minteshreen – sont arrivés en tête aux élections du syndicat des ingénieurs du pays. « Ces victoires me donnent de l’espoir même si elles sont minuscules par rapport à ce qu’on souhaite pour les dix-quinze prochaines années », explique la jeune femme. Aujourd’hui, le parti compte 200 membres, un chiffre faible mais qui ne cesse d’augmenter. « Il y a quelques jours, nous étions encore 170 », s’enthousiasme-t-elle.

Ces résultats lui donnent envie de continuer à croire au Liban : « La dévaluation de la monnaie, l’inflation et le quotidien sont difficiles à vivre sur le plan psychologique. Mais ces petites victoires de Minteshreen renforce ma motivation à vouloir changer les choses », assure-t-elle, l’œil malicieux. Dans son entourage, beaucoup ont quitté le pays. « Je n’en veux pas à ceux qui sont partis. Mais moi, pour l’instant, je reste. Je reste car je crois au potentiel de notre parti. »