Femmes en révolution

Une jeune Libanaise antigouvernement, enveloppée dans le drapeau libanais, observe la place des Martyrs depuis le toit d’un immeuble voisin. Photo: Patrick Baz/APP

Depuis le début du mouvement, le 17 octobre 2019, les Libanaises sont dans la rue. Les raisons de leur colère sont multiples : corruption politique, système confessionnel inadapté… Souvent à la têtes des manifestations, ces jeunes femmes assument leur leadership et font entendre leur voix.

A Beyrouth, la place des Martyrs n’est pas un lieu anodin. Face à la mosquée Al-Amin, se dresse la statue des martyrs, ces insurgés qui, en 1916, ont été pendus par les Ottomans qui régnaient alors en maîtres. Criblée de balles lors de la guerre civile (1975-1990), la statue est aussi devenue l’emblème du martyre de la ville détruite.

Aujourd’hui, c’est le centre névralgique des manifestations qui agitent la capitale libanaise depuis octobre 2019. La population se mobilise contre la classe politique qu’ils accusent de corruption et d’être responsable de la situation économique qui touchent la plupart des classes sociales et surtout les classes moyennes.

Des dizaines de tentes y sont installées. Toutes ont une fonction spécifique : point presse, commerce de narguilé, hébergement de sans-abris… L’une d’elles est devenue un lieu de vie pour les jeunes manifestantes, même si les hommes ont tout autant leur place. Mais c’est ici qu’elles débattent, parlent de politique et d’économie, se réapproprient l’espace public.

Cyrene Bader et Sarah Baghdadi font parties des manifestants les plus dynamiques. Elles sont d’ailleurs assez fières de faire visiter les installations. Cela a pris des semaines entières pour bâtir ce qui s’approche plus d’un chapiteau que d’une simple tente. Elles et leurs camarades ont fait de cet endroit un vrai cocon.

Au beau milieu, Cyrene s’y est même installé un couchage. Une tente dans la tente en quelque sorte. Cela fait quatre mois qu’elle campe littéralement sur place.

Cyrene Bader et Sarah Baghdadi, activistes au sein de la révolution libanaise. Photo: Paul Boyer/EPJT

L’espace est extrêmement bien organisé : zone médical pour soigner les manifestants en cas d’émeutes urbaines, coin sanitaire, douches et plusieurs dortoirs.

Des palettes disposées à même le sol servent de tables à manger, de fauteuils… Sur les étagères de leur cuisine aménagée, au milieu du stock de nourriture, on trouve des citrons et des bouteilles d’eau : très utile pour soigner ceux qui ont été touchés par de les gaz lacrymogènes.

Quasiment inexistants au début des manifestations, ces tirs sont devenus beaucoup plus fréquents depuis décembre 2019, quand la répression des forces de l’ordre s’est durcie.

« Beaucoup de médicaments nous sont offerts, souligne Cyrène. Mon médecin personnel m’a donné des échantillons qui proviennent d’entreprises médicales. Nous essayons de nous aider mutuellement. »

Le quotidien des manifestants est basé sur la solidarité. « Nous vivons d’une économie de partage. Au fond, il y a une cuisine de fortune, un dortoir et même une salle de bains, explique Cyrène. Quand nous avons besoin d’électricité, il y a forcément quelqu’un, parmi nous, qui est expert en la matière. On profite des compétences de chacun. »

Des manifestants se reposent dans les tentes installées au pied de la statue des Martyrs. Photo: Patrick Baz/AFP

L’organisation, bien rodée, reste précaire, à la merci des forces de l’ordre. Dans la nuit du 3 au 4 janvier, l’armée libanaise attaque la tente principale alors que des manifestants y dorment. Le lendemain, Tasnim Kabbani, une étudiante, s’insurge : « Ils ont fait irruption en pleine nuit. Ils étaient armés, leur but était clairement de nous terroriser pour que nous quittions les lieux. »

La tente a été entièrement détruite. Mais les jeunes, présents sur place, refusent de baisser les bras. « Nous reconstruirons, encore et encore, toutes les tentes qu’ils détruisent », s’enflamme Tasnim Kabbani.

Le soir-même, ceux qui occupent la place décident de lancer une manifestation. Dans le cortège, les jeunes femmes sont particulièrement déterminées. Ce sont les premières à lancer les chants de ralliement, à l’image de Perla Joe Maalouli. Devenue une figure iconique de la révolte, la jeune chanteuse n’hésite pas à s’emparer d’un mégaphone pour scander des slogans percutants tels que : « Allez révolte-toi Beyrouth ! »

Les manifestants ont quitté la place des Martyrs. Certains sont masqués afin de ne pas être reconnus par les caméras de surveillance. Ils se retrouvent devant le parlement et commencent à lancer des slogans contre Hassan Diab, le Premier ministre nommé le 19 décembre. La nomination de cet ingénieur, qui enseigne à l’université américaine de Beyrouth, n’a pas vraiment calmé les critiques de la rue qui ne lui accorde que peu de crédit.

Ce que confirme Paula Naoufal, journaliste à An Nahar, principal quotidien en langue arabe du Liban. Celle-ci assiste aux manifestations depuis leur début, en octobre. Pour elle, les citoyens sont « très sceptiques quant aux résultats concrets de la politique de Hassan Diab ».

Les jeunes Libanaises sont souvent en tête de cortège. Photo: Paul Boyer

Elle tient surtout à saluer les femmes libanaises, au cœur du processus révolutionnaire. « Elles sont exceptionnelles, combatives et persévérantes, elles calment les tensions sur le front et se battent pour ce en quoi elles croient. »

Paula estime que nombre d’entre elles « couvrent des zones très risquées et luttent au quotidien ». Elle-même blessée à la tête par les forces armées libanaises, le 11 décembre 2019, elle continue de couvrir les manifestations pour An Nahar.

La journaliste Paula Naoufal a filmé le début de l’agression dont elle a été victime.

Depuis les manifestations de janvier, les femmes demeurent mobilisées pour obtenir plus de droits de la part du gouvernement d’Hassan Diab. Cyrene est toujours active. Elle partage régulièrement des vidéos en direct via des live Facebook. Elle couvre les événements à sa manière. Certaines de ses vidéos sont devenues virales, les réseaux sociaux jouent en effet un rôle crucial dans cette révolution.

Cyrène, est de toutes les manifestations. Photo : Ismail Nabili

Contactée le 13 février, elle a raconté la manifestation du 11 février. Ce jour-là, les parlementaires devaient accorder leur confiance au gouvernement de Hassan Diab. Tôt le matin, les manifestants ont pris place devant le parlement pour empêcher le vote.

Cyrene était, comme de nombreuses femmes, encore sur le front. Des barricades ont été élevées dans le centre-ville. La répression des forces de l’ordre a été conséquente et le bilan de la journée a été lourd : plus de 400 blessés dont 45 hospitalisés selon la Croix-Rouge libanaise. Et le parlement a voté la confiance au Premier ministre.

 « Beaucoup de femmes se tenaient debout, fières et en colère, a commenté Cyrène, au téléphone. Les hommes dépendent de nous au front. Ils s’accrochent à nous pour ne pas se retrouver isolés ni se faire arrêter. »