Lina Elleuch a contribué a créer l’association dont elle coordonne les activités.
En Tunisie, l’homosexualité peut être punie de trois ans de prison. Des jeunes s’engagent pour défendre les droits des personnes discriminées. C’est le cas de Lina Elleuch. Elle nous détaille les actions de Mawjoudin, une association dans laquelle elle milite.
Recueilli par Manon Van Overbeck (photos François Ventéjou/EPJT)
’association Mawjoudin (en français : Nous existons) milite pour la reconnaissance des droits des personnes LGBTQI+ et pour l’égalité des droits pour tous en Tunisie. Dans ce pays, l’homosexualité est toujours interdite. Lina Elleuch à 24 ans. Elle est engagée dans cette association depuis cinq ans et a participé à sa création. Aujourd’hui, elle est coordinatrice des activités de l’organisation.
De la création de cours de sport au partenariat avec des avocats, les actions de Mawjoudin sont très variées. Comment organisez-vous tout ce combat ?
Lina Elleuch. L’organisation propose des services aux personnes dans le besoin. Nous mettons à disposition des avocats, des médecins, voire des psychologues. Des formations et des ateliers pour favoriser la réinsertion professionnelle sont aussi mis en place.
Par exemple, en décembre 2019, pour des réfugiés ivoiriens, nous avons organisé une formation sur le genre et la violence basée sur le genre. En 2018, une formation sur l’intégration au monde professionnel a été initiée avec des exercices sur la préparation de CV et sur l’entretien d’embauche.
Un club de danse et de yoga avec même des spectacles et des cours de self-défense gratuits sont aussi proposés. Pour faire tout ce travail, nous avons deux locaux dans le centre-ville de Tunis. Des salles communes permettent d’accueillir des gens pour se retrouver s’ils n’ont pas d’autres endroits et pour travailler ensemble notamment.
S’il est interdit de loger des personnes dans les locaux d’une association, toutefois nous en avons aidées à passer une ou deux nuitées dans un hôtel en cas d’urgence, voire à trouver une location ou une colocation.
Mais le manque de budget actuel de l’association nous empêche de poursuivre cette action. Depuis sa création en 2015, l’association a bien grandi. Aujourd’hui, nous sommes une douzaine, entre 22 et 35 ans, à nous investir.
Des associations étrangères nous aident, comme LGBT Danemark. Notre travail se décentralise. Des actions sont menées dans d’autres régions de la Tunisie, comme Sfax, Sousse ou Bizerte. Mawjoudin est devenue visible sur la scène nationale et internationale.
En 2019, Mawjoudin est venu en aide à plus de 600 personnes. Comment identifiez-vous les personnes dans le besoin ?
L. E. Nous venons en aide aux personnes LGBTQI+, aux réfugiés, aux migrants, aux demandeurs d’asile. Par exemple, nous soutenons des personnes qui ont été virées de leur emploi, agressées ou arrêtées à cause de leur orientation sexuelle ou de leur nationalité. Nous pouvons détecter qu’une personne est dans le besoin grâce son entourage. Nombreux sont ceux qui ont été aidés par l’association car nous avions des amis en commun. Mais ces personnes dans le besoin peuvent aussi venir directement demander notre aide.
Ça marche beaucoup à travers les publications sur les réseaux sociaux. S’ils le souhaitent, les bénéficiaires de cette aide peuvent en plus devenir membre de Mawjoudin. Pour cela, il faut lire et accepter notre charte. Elle concerne le respect de toute forme de différence et des règles du [simple_tooltip content=’espace positif ou neutre permettant aux personnes habituellement marginalisées de se réunir’]safe space[/simple_tooltip]. Il faut également payer un abonnement de 10 dinars par an.
L’organisation est basée sur l’écoute. Quels sont les moyens mis en place ?
L. E. Mawjoudin demeure surtout une cellule d’écoute pour toutes ces victimes. Nous avons mis en place un numéro vert gratuit, en service tous les mercredis et vendredis après-midi. Les personnes peuvent alors nous contacter gratuitement pour se faire écouter par un counselor.
Ces counselors, ou écoutants, sont les personnes qui travaillent pour l’association. J’en fais partie. Nous devons essentiellement écouter la personne en besoin puis la conseiller et l’orienter vers un professionnel si c’est nécessaire, un psychologue ou un psychiatre par exemple.
Un numéro d’urgence joignable 24 heures sur 24 est aussi ouvert. Il est utile pour les cas d’arrestation. La personne doit simplement composer le numéro. Puis, nous nous chargeons de contacter l’un des avocats avec qui nous travaillons ou l’organisation Avocats sans frontières qui est notre partenaire.
Comment communiquez-vous sur vos actions pour mettre au courant les personnes dans le besoin ?
L. E. Les réseaux sociaux sont notre outil de communication principal. Nous communiquonns nos événements et nos formations sur les deux groupes Facebook de Mawjoudin. L’un est destiné aux membres, l’autre aux amis et partenaires. Nous utilisons aussi Instagram et partageons toutes nos informations sur les groupes des associations amies.
Par exemple, une manifestation a été lancée le 13 novembre 2019 par le #EnaZeda, le #MeToo tunisien, et organisée par l’association [simple_tooltip content=’Voix des femmes en français’]Aswat nisaa[/simple_tooltip]. Mawjoudin a participé en partageant les événements sur ses réseaux sociaux pour prévenir le plus de gens possible.
Espérez-vous avoir un impact politique ?
L. E. L’organisation mène des campagnes pour l’abolition de l’article 230 du Code pénal. Il date de 1913 et pénalise l’homosexualité de trois ans de prison. Nous menons donc des campagnes sur les réseaux sociaux. Nous organisons aussi des événements artistiques : un spectacle de drag queens début juin 2019 et le Queer film festival en mars 2019. D’ailleurs, la troisième édition de ce festival est en préparation.
Mais le nouveau président n’est pas du tout [simple_tooltip content=’sympathisant LGBT’]gay friendly[/simple_tooltip]. Il ne souhaite pas abolir l’article 230 et dit vouloir préserver les valeurs familiales en Tunisie. Un des candidats à la présidentielle est homosexuel, Mounir Baatour. En 2013, il a été accusé de « crime de sodomie » et condamné à trois mois de prison sur la base de l’article 230.