Une trentaine de jeunes chômeurs diplômés ont posé leurs tentes devant le ministère la Formation professionnelle et de l’Emploi.
Le 27 août 2019, un groupe de jeunes ont installé des tentes de fortune devant le ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi. Tous sont chômeurs et diplômés. Ils attendent du gouvernement une solution pour sortir de cette situation précaire.
Par Simon Philippe (photos Paul Abran/EPJT)
es bâches sont accrochées grossièrement aux murs du ministère. Sous ces abris de fortune, une trentaine de jeunes chômeurs attendent. Le ciel est noir. Il tombe par intermittence de grosses averses de pluie. Mais ils restent là.
Depuis le 27 août 2019, une cinquantaine de chômeurs diplômés se relaient et occupent le trottoir qui longe le ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, dans le centre de Tunis. Le plus jeune a 25 ans, le plus vieux la quarantaine.
« Je suis là depuis le début et je resterai jusqu’à ce qu’il y ait une solution. » Mohamed approche de la trentaine et est titulaire d’un master. Comme les autres manifestants, il cherche un emploi. Les vêtements trempés, la mine abattue, il raconte ce qui l’a poussé à rester là jour et nuit depuis trois mois. « Le ministère ne nous répond pas. Il ne propose aucune solution. Il estime que ce n’est pas son problème. » Pourtant le chômage est l’une des plus grandes difficultés auxquelles est confrontée la Tunisie. Particulièrement pour la jeunesse, très durement touchée. Environ un tiers des 18-34 ans est sans emploi.
À l’écart, une voiture de police est garée. Les quatre hommes qui l’occupent surveillent les piteuses habitations. Sur la deux-fois-deux-voies, il y a très peu de circulation en cet après-midi pluvieux. Le temps est exceptionnellement mauvais pour Tunis. Des écoles ont même dû fermer à cause des intempéries et des rues inondées.
La crise de l’emploi n’a rien de nouveau dans le pays. Notamment pour la tranche jeune de la population. Lors de la révolution de décembre 2010, nombreux sont ceux qui ont espéré que les mentalités évoluent, que des solutions politiques et économiques se feraient jour. Mais rien ne semble avoir changé. « En 2016, un mouvement identique a eu lieu. L’État a alors proposé 550 nouveaux emplois. Mais comme toujours, il y a eu des magouilles. Cela n’a pas profité aux personnes le plus dans le besoin », explique Mohamed. Malgré la chute de Ben Ali, la corruption reste un fléau bien présent. Les puissants ont gardé le pouvoir et continuent de ne servir que leurs propres intérêts.
L’espoir Kaïs Saïed
Si la jeunesse d’aujourd’hui souffre du manque de travail, il ne faut pas croire que les choses se soient améliorées pour les générations précédentes. « Je n’ai pas de travail, pas de famille, pas de futur. Tant que je resterai au chômage, je n’en aurais pas. Aujourd’hui, en Tunisie, on ne peut pas avoir de rêves », souffle Yacine, lui aussi chômeur bien que diplômé.
Titulaire d’un master en management obtenu il y a plus d’une décennie, il n’a jamais pu l’utiliser pour travailler. Il a 34 ans et il est désespéré : « Je n’ai pas travaillé dans mon domaine d’étude depuis l’obtention de mon diplôme. Cela fait onze ans maintenant. Je pense que j’ai perdu toutes mes compétences. » Pour lui, c’est la double peine : il ne peut pas travailler et il régresse dans ses aptitudes professionnelles.
Une bourrasque arrache un parapluie qui couvrait les abris. Tout en essayant de le raccrocher, Sayhi maugrée : « Ça s’appelle le ministère du Travail et c’est incapable de nous en donner. » Alternant chômage et emplois précaires, ce Tunisien est à bout. « Je travaille depuis six ans dans le privé, mais c’est presque de l’esclavage tant le salaire est bas et les conditions horribles. » Comme beaucoup, il aimerait trouver un travail dans la fonction publique.
Avec l’élection présidentielle et l’arrivée à la tête du pays de Kaïs Saïed, certains pensent que la situation va s’améliorer. Réputé pour sa probité et son combat contre la corruption, le président nouvellement élu plaît aux protestataires présents. Lors de sa campagne, il les a rencontrés et a entendu leurs revendications. « Avec l’arrivée de Kaïs Saïed, on a de nouveau de l’espoir, confie Mohamed. Il est complètement différent des autres. Il est comme nous, il a vécu la réalité de nos vies et il nous comprend. » Pour le moment, leur situation n’a toujours pas évolué.