Une vie en suspens

Par Camille MONTAGU et Mathilde WARDA

Étienne Xavier a quitté un Cameroun au bord de la guerre civile. Après avoir échoué deux fois à traverser la Méditerranée, il vit à Marrakech mais rêve toujours de rejoindre l’Europe.

« Ce n’est pas facile. » Cette phrase, Étienne Xavier ne cesse de la prononcer. Le jeune Camerounais vit au Maroc depuis plus de dix mois. « Dix mois de vide. » En ce samedi matin, Étienne Xavier attend une distribution de nourriture dans une église évangélique de Marrakech.

Après deux ans de périple, ce garçon de 22 ans se définit comme un « aventurier ». Les vêtements qu’il porte l’attestent : un pantalon troué à plusieurs endroits, des chaussures de randonnées, un pull vert et une casquette usée vissée sur la tête.

Le jeune Camerounais cherche souvent ses mots pour raconter son parcours. Il lui arrive aussi de faire de longues pauses lorsqu’il évoque des amis disparus. Mais il ne cesse de maintenir le regard haut.

Étienne Xavier n’a pas rejoint le Maroc par hasard. Il a quitté le Cameroun avec un seul objectif en tête : rallier l’Europe. Qu’importe le pays. « Vivre dans un endroit où les droits de l’homme sont respectés » était son unique objectif.

Pour ce faire, il a essayé de traverser la Méditerranée depuis Tanger, ville située au nord du Maroc. Réussir une traversée est une question d’heure, de préparation, mais surtout de chance selon lui. Il a essayé à deux reprises. Des tentatives soldées par deux échecs.

La première fois, le jeune homme embarque dans un bateau gonflable de huit places avec des inconnus. Juste avant de dépasser la ligne des eaux internationales, il est rattrapé par la marine marocaine.

Souffrant, Étienne Xavier est alors déposé dans un centre d’aide. Une bénédiction pour lui. Car en temps normal, les personnes arrêtées sont refoulées dans le sud du Maroc.

Quelques semaines plus tard, il tente de nouveau sa chance. Cette fois-ci, il n’atteindra même pas la mer. Étienne Xavier est arrêté par des militaires et envoyé plus au sud, à Casablanca. Il rejoindra de lui-même Marrakech dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions de vie.

Mais vivre à Marrakech n’est pas simple. A son arrivée, il parvient à trouver un emploi dans une fabrique de briques. Mais après un mois de travail, il n’a pas perçu son salaire. « J’ai quitté mon travail une dizaine de jours plus tard », précise-t-il. Depuis, il est contraint de mendier pour subvenir à ses besoins.

Aujourd’hui, il vit dans une seule pièce avec deux amis.

Malgré ces difficultés, hors de question pour lui de retourner au Cameroun tant que le régime restera en place. Étienne Xavier vient de la région de Bamenda, au Nord Ouest du Cameroun, l’une des deux régions les plus touchées par la crise.

Le pays est divisé en deux zones, une anglophone et une francophone. L’espace français est privilégié alors que la zone anglophone est privée de tout » explique-t-il. Depuis novembre 2016, des mouvements de contestations ont lieu dans cette région. Des manifestations fortement réprimées par le pouvoir en place. 

Sur le plan économique, le marché de l’emploi est figé au Cameroun. « La jeunesse est au chômage tandis que certains vieillards travaillent encore à 80 ans », détaille Etienne Xavier. Un peintre avait pourtant pris le jeune Camerounais sous son aile après l’obtention de son baccalauréat.

Mais l’artisan est décédé quelques mois plus tard. Etienne a alors préparé son départ avec son meilleur ami. Finalement, celui-ci ne partira pas.

Le 30 juin 2017, Etienne quitte sa famille, sans la prévenir. Il a à peine 20 ans.

Après avoir traversé le Nigeria et une partie de Niger en voiture, Étienne Xavier arrive à Agadez (Niger), un lieu de rassemblement pour nombre de migrants subsahariens. Avec un groupe, il rallie Arlit, un village proche de la frontière algérienne.

Commence alors la traversée du Sahara à pied, afin de franchir la frontière entre le Niger et l’Algérie. Pour cela, le jeune Camerounais fait appel à des passeurs. Le voyage dure plus de trois jours.

Etienne Xavier attend une distribution de nourriture qui a lieu deux fois par mois.
Photo : Mathilde Warda/EPJT

 

Trois jours de combat continu contre la mort. « Pendant une journée, nous n’avions plus d’eau. Tu ne peux pas t’arrêter, sinon tu meurs. Quand quelqu’un abandonne, on le dépose à côté et c’est fini pour lui. Nous n’avions pas le choix. Dans le désert, il y a des corps abandonnés partout », confesse Étienne Xavier.

« C’était l’étape la plus compliquée de mon voyage. Des jeunes filles ont aussi été enlevées et violées », poursuit-t-il.

Le Camerounais rejoint finalement Tamanrasset, au sud de l’Algérie, avec l’aide des passeurs. Mais ces derniers l’enferment dans une maison.

Étienne Xavier doit payer une rançon pour retrouver sa liberté : « J’ai décidé d’appeler ma sœur pour lui demander de l’aide. C’est le premier contact que j’ai eu avec un membre de ma famille. Tout ce que je sais, c’est qu’elle a réussi à récolter l’argent nécessaire, car j’ai été libéré. »

Il rejoint ensuite le nord de l’Algérie et la ville d’Oran où il passe plus de neuf mois. Il travaille alors dans un chantier. « Je gagnais plutôt bien ma vie », précise-t-il. Mais rien n’ébranle sa volonté de rejoindre l’Europe. Il se dirige vers le Maroc et Tanger, où il préparera pendant plusieurs semaines ses deux traversées.

À Casablanca, Étienne Xavier dormait sur des cartons près de la gare routière, le point de regroupement pour les migrants subsahariens. Un lieu propice aux maladies. Etienne Xavier est chanceux. Lorsqu’il était à Tanger, il n’a eu que des démangeaisons.

Le Camerounais a aussi connu le racisme ambiant, fléau qu’il avait découvert en Algérie. Quelques Marocains venaient les trouver pour « en découdre » d’après lui. Des personnes sont blessées et tuées lors de ces affrontements.

Marqué par la violence et le racisme quotidien, il quitte Casablanca pour Marrakech. Une ville où le racisme est « moins prononcé », mais toujours présent.

Si la solidarité est de mise dans la communauté subsaharienne, Étienne Xavier pointe tout de même du doigt l’inconscience de certaines personnes. « Des amis à moi se droguent. Cela leur a causé des problèmes », explique-t-il. Lui a arrêté de consommer de l’alcool et de la drogue. Pour des raisons financières mais aussi par prudence.

Il espère fonder une famille, même s’il lui est difficile de se projeter pour le moment : « Ma vie n’est pas stable, j’ai d’autres priorités. » Parmi ses préoccupations : se nourrir. « Chaque jour, je me lève en me demandant comment je vais trouver à manger. » Heureusement, les distributions de nourriture d’une église évangélique de Marrakech lui donnent un peu de répit.

Ces donations ont lieu deux fois par mois, les samedis matin. Mais l’attente peut durer jusqu’à plusieurs heures, au bout desquelles il repart généralement avec une semaine de nourriture. « Je cuisine une fois tous les deux jours avec mes colocataires. Le reste du temps, nous nous débrouillons pour manger. »

Aujourd’hui, Étienne Xavier souhaite quitter Marrakech et l’Afrique le plus rapidement possible. Il envisage une troisième tentative de traversée, car rejoindre l’Europe reste son objectif. « Cela fait deux ans que ma vie est en pause. Je veux qu’elle reprenne. »

Deux de ses amis ont réussi à s’installer en France et en Belgique. Tous n’ont pas eu cette chance. Deux autres ont péri en mer, près de la côte libyenne. Le jeune Camerounais garde espoir. Même s’il n’a encore rien organisé en cas d’une éventuelle arrivée en Europe. « Je veux juste avoir une vie, j’improviserai. »

Ce qu’il ne cesse de faire depuis bientôt deux ans.

Un pays coupé en deux 

Le Cameroun est divisé en deux parties à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vaincue, l’Allemagne, l’ancien occupant, quitte le territoire. Celui-ci est alors partagé entre la France, pour la partie orientale, et le Royaume-Uni, pour la partie occidentale. En 1960, le pays devient indépendant. Les mouvements séparatistes anglophones naissent après la proclamation de la République unie du Cameroun en 1972. Ces contestations prennent un tournant politique à partir du milieu des années quatre-vingt-dix.

Aujourd’hui, ce pays d’Afrique subsaharienne vit une guerre civile qui passe inaperçue. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone (20 % de la population du pays) proteste contre sa marginalisation. Les manifestations sont lourdement réprimées par le gouvernement en place.

La situation est alarmante même si établir un bilan est compliqué. Il y aurait près de 1 millier de morts et 500 000 déplacés. Nées d’une crise socio-politique dans les régions anglophones, ces tensions se sont transformées en conflit armé en 2017 entre les forces gouvernementales d’une part et différents groupes séparatistes d’autre part. La radicalisation de ce mouvement a été amplifiée par le blocage d’Internet dans une partie du pays entre février et avril 2017. Malgré une situation qui ne cesse de se dégrader, le conflit semble ignoré par la plupart des médias et la communauté internationale. Paul Biya, au pouvoir depuis trente-cinq ans, dissimule l’importance du conflit qu’il qualifie de simples « troubles ».