Politisés mais pas engagés

Par Lorène BIENVENU et Ariel GUEZ

Photo : Lorène Bienvenu/EPJT

À Marrakech, les jeunes votent peu. Et pour cause : la plupart ne se sentent pas réellement intégrés au processus électoral et à la vie politique en général. Pourtant, certains partis politiques, à l’image du PJD, ont des branches spécialisées en direction des jeunes.

« Il y a un vide d’offre politique pour les jeunes », explique lucidement Fouad Azouzi. À 32 ans, il est responsable de la branche jeunesse Justice et développement (JJD) de la section de Marrakech du parti islamiste Justice et développement (PJD). Rares sont les jeunes qui s’engagent dans un parti ou une association politique au Maroc.

Entré au sein de la JJD en 2011 à la suite du mouvement du 20 février, Fouad a gravi les échelons jusqu’à devenir le responsable régional de son organisation, dès 2015. 

Fouad Azouzi, responsable de la JJD, est persuadé que le changement passe par la politique. C’est cette raison qui l’a motivé à rejoindre le PJD.
Photo : Lorène Bienvenu/EPJT

Un parcours qui ressemble à celui que s’imagine parfois Yassir El Aidouni, 20 ans, étudiant en deuxième année à l’Ecole nationale d’architecture de Marrakech (Enam) : « Si je veux vraiment m’engager en politique et devenir quelqu’un d’influent dans ce pays, je vais avoir tendance à rejoindre un parti qui est fort, y suivre une ascension pour prendre la main et donner mon avis. »

Mais Yassir, lui, ne vote même pas. Politisé, il ne traduit pas ses idées dans un engagement au sein d’un parti. Par manque de temps et d’envie, mais aussi en raison de la perception que les jeunes ont du système politique marocain. Pour cet étudiant, le PJD est une organisation « schizophrénique », comme la plupart des partis marocains : « Les partis changent constamment de ligne, en fonction de leur leader et quand leur électorat se renouvelle. Cela donne l’impression, à la longue, qu’ils se cachent derrière des idéologies et des slogans “façades” ».

Délaissés, déconsidérés, parfois méprisés, les jeunes Marocains ne trouvent pas leur place dans la sphère politique et les institutions ne les encouragent guère à se lancer dans ce domaine. « Ce n’est pas dans notre culture d’encourager les jeunes à devenir des leaders, à se démarquer et à exprimer leurs opinions », explique Yassir.

Etudiant architecte, Yassir El Aidouni n’exclut pas la possibilité de se lancer en politique. En Algérie, sa tante a récemment créé un parti de courant démocrate. Photo : Lorène Bienvenu/EPJT

Selon le Huffington Post, 33 % des 18-25 ans étaient inscrits sur les listes électorales en 2016. Une situation d’autant plus alarmante qu’au Maroc, l’âge médian, qui divise la population en deux groupes numériquement égaux, est de 27 ans chez les hommes et 29 chez les femmes contre respectivement 39,3 ans et 42,3 ans en France.

La faible offre politique n’est pas la seule explication à ce manque d’engagement politique des jeunes Marocains.

Les familles jouent aussi leur rôle. « Par sécurité, nos parents nous conseillent de nous éloigner de ce domaine, d’aller vers la stabilité pour éviter les problèmes. Ils pensent que la politique n’est pas une valeur sûre », explique Yassir.  

Certains partis politiques ont tenté d’intéresser les jeunes, mais le régime monarchique marocain, lui, n’y est guère favorable.

Les jeunes ne sont d’ailleurs pas tous d’accord sur la responsabilité de la monarchie, certains pensent que le système permet l’animation du débat politique dans le pays.

Le roi concentre le pouvoir entre ses mains et peut, s’il le souhaite, bloquer le travail du parlement. Une situation qui résonne singulièrement après les récentes manifestations de rue en Algérie qui ont chassé du pouvoir Abdelaziz Bouteflika. « C’est inspirant de voir la population algérienne se lever. Mais, au Maroc, le roi est essentiel au pays. Si l’Algérie est dans cette situation, c’est parce que le régime n’y est pas stable », explique un jeune Marrakchi qui a préféré rester anonyme.

D’autres sont beaucoup plus critiques, mais savent que les conséquences de leurs propos peuvent être lourdes. « Un homme, originaire de la province d’Al Hoceïma, près de Tanger, s’est révolté contre le roi et il a été condamné à vingt ans de prison. Il voulait seulement de l’argent pour un hôpital mais, ici, l’argent public est seulement investi dans les mosquées », racontent des lycéens.

Parce que la monarchie leur laisse peu de place, les partis politiques marocains sont incarnés par des leaders puissants et charismatiques. En l’espace de dix ans, le PJD est ainsi passé de 5 % aux élections communales de 2009 à 28 % aux élections législatives de 2016, avec l’émergence de figures comme Abdel-Ilah Benkiran, devenu chef du gouvernement en 2011.

Les jeunes Marocains ont donc bel et bien une conscience politique. Beaucoup sont volontiers critiques à l’égard des institutions. D’autres, comme certains étudiants de l’Enam, reconnaissaient que la place du pouvoir politique est essentiel. Quelques uns envisagent même de poursuivre leurs études de droit. Après leur diplôme d’architecture, pour se lancer en politique et peser sur la gestion de l’urbanisme.

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Pour inciter les jeunes à voter, voire à adhérer à leurs organisations, certains partis mettent en place des actions au sein des écoles, des universités et des centres de jeunes. Le PJD revendique ainsi la section jeunes la plus importante au Maroc. « Certes, seul 1 % des jeunes font de la politique dans ce pays mais 50 % d’entre eux sont des membres du PJD, indique Fouad Azouzi. Lors des élections, environ 20 % de nos sièges sont réservés à la jeunesse. »

Si le parti peut se targuer de rallier autant de jeunes, c’est parce qu’il est très actif sur le plan de la communication. Sur Facebook, la page nationale du PJD compte plus de 1,2 million de likes. « Les mineurs ne peuvent pas adhérer mais on essaie de les préparer idéologiquement pour qu’ils nous rejoignent une fois qu’ils auront 18 ans », confie Fouad Azouzi. Pour ce faire, différentes associations liées au parti travaillent activement. Dans les lycées, certains professeurs, membres de l’Association des professeurs du PJD, sensibilisent les jeunes et expliquent que le changement passe par la politique.

Yassir a remarqué que certains de ses enseignants sont politisés. « Ils nous encouragent à être plus actifs en tant qu’étudiants et en tant que citoyens. On nous demande de nous engager dans des actions de volontariat, d’être soudés, de créer une dynamique de travail social. » Si lui croit en ce discours, ce n’est pas le cas du reste de ses camarades : « Cela n’intéresse pas les trois quarts d’entre nous. »

Comme le disait un SMS qui a circulé, il y a quelques années en Algérie peut-être que « le peuple, et donc les jeunes, s’intéresseront à la politique quand la politique s’intéressera à eux ».

Le mouvement du 20 février

Le 20 février 2011, un mouvement de protestations se déclenche au Maroc dans la foulée du Printemps arabe. Les revendications sont purement politiques : le fonctionnement du régime est remis en cause pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI en 1999. Les manifestants exigent une réforme constitutionnelle.

En mars, le roi s’engage à apporter du changement mais les manifestations continuent.

En mai, elles prennent une nouvelle tournure quand l’Etat décide de réprimer. On compte plusieurs morts, puis le pouvoir recule en juin.

Les engagements de Mohammed VI se traduisent finalement le 1er juillet 2011 par un référendum sur une nouvelle constitution.

La quasi-totalité des partis appelle à voter « oui ». Avec le succès du référendum tient au taux de participation élevé (75 %) et une large victoire du « oui ». Le référendum est un succès. Mais l’opposition entre les manifestants et les contre-manifestants dépasse le cadre de ce vote et va durer encore quelques années.