« L’espoir » par la cuisine

Par Alice BLAIN et Salomé RAOULT

Photos Alice Blain/EPJT

Entre tajines et couscous, le restaurant Amal ne régale pas seulement les papilles de ses clients. C’est aussi une association qui forme des femmes pour leur permettre d’obtenir une vie meilleure.

Le restaurant Amal, au cœur du Guéliz, accueille quinze bénéficiaires tous les six mois. Photo : Alice BLAIN/EPJT

Les klaxons résonnent, les touristes se bousculent, les taxis se succèdent, mais à quelques mètres, un havre de paix. À l’angle des rues Allal Ben Ahmed et Ibn Sina, le restaurant Amal est niché au cœur du Guéliz, un quartier de Marrakech.

Gaspacho de carottes à l’orange, tajine végétarien ou moelleux au chocolat blanc sont servis dans la cour ombragée. Un restaurant à l’apparence tout à fait classique. Mais, au fil des minutes, les observateurs remarqueront qu’en service, derrière la caisse et dans la cuisine, le personnel est exclusivement féminin. Ce restaurant est un véritable tremplin pour les femmes en situation précaire : veuve, orpheline, mère célibataire, ancienne bonne…

Durant six mois, les bénéficiaires sont formées aux arts culinaires. Hajar Zazoura, 24 ans, est l’une d’entre elles : « J’aurais pu me marier, c’était la facilité. Mais j’ai voulu saisir l’opportunité que m’offrait l’association pour aider ma mère et mon père malade. »

Créée en 2012 par Nora Belahcen Fitzgerald, une Américano-Marocaine, l’association Amal (« espoir » en arabe) souhaite former et accompagner des femmes. La structure gère aujourd’hui un restaurant à Guéliz, propose des cours de cuisine ainsi qu’un service de traiteur dans le quartier de Targa.

Dans chaque centre, une quinzaine de femmes, âgées de 18 à 35 ans, travaillent ensemble sur des périodes de six mois. À l’issue de cette formation, elles partent en stage dans des restaurants où elles espèrent être embauchées. Depuis la création de l’association, 86 % des stagiaires ont pu s’insérer sur le marché du travail.

Si la cuisine a été spontanément choisie comme outil d’insertion professionnelle, c’est parce qu’elle « est pratiquée par les femmes marocaines. Elles cuisinent toujours au contact de leur mère, tante, sœur. Ici, elles apprennent », explique Kenza Taarji, la directrice du centre. L’objectif de l’association est de rendre ces femmes autonomes et indépendantes, un premier pas vers un avenir plus heureux.

Hajar Zazoura a connu l’association grâce au bouche-à-oreille. Déscolarisée lors de sa dernière année d’école primaire, elle a été contrainte de s’occuper de son père malade. Illettrée, elle n’a eu aucune ressource pour se former à un quelconque métier. Amal a donc été une opportunité exceptionnelle : « Grâce à l’association, je gagne en indépendance en tant que femme. Amal m’aide à gagner en estime de moi et en confiance. Je me sens utile », raconte la jeune femme.

Hajar Zazoura découvre la fabrication du pain.

Photo : Alice BLAIN/EPJT

Cheveux rassemblés sous une toque, pantalon sombre et tablier orange noué autour de la taille, Hajar semble timide, presque renfermée devant sa directrice. Malgré tout, elle arbore un sourire qui marque son intérêt et son bonheur d’être là. Confiance, estime, ambition… Tant de mots synonymes d’espoir.

De 11 heures à 15 h 30, la salle ne désemplit pas. En passant de table en table, on entend parler arabe, français, espagnol, italien… Une clientèle cosmopolite rassemblée autour de plats aux accents occidentaux et marrakchis. « Au fil des années, la qualité s’est améliorée. Le fait de venir régulièrement permet de voir ces jeunes femmes progresser », explique Hervé Peruchon, un habitué du lieu. Son amie Hélène Bisbal, venue pour les vacances, souligne également « un rapport qualité-prix excellent. » Les clients s’accordent pour saluer unanimement l’initiative mise en place pour aider les bénéficiaires.

Chaque jour, ces femmes découvrent les métiers de la restauration, du service en salle à la réalisation des plats en passant par la confection du pain. Ces deux dernières semaines, Hajar était affectée au service du café et au stock. Ces tâches lui ont permis d’être au contact des clients tout en restant derrière son comptoir. Un poste qui la rassure.

Chaque soir pendant une heure, les quinze femmes du centre assistent à des cours obligatoires. Elles suivent par exemple des sessions de yoga, de coaching personnel, des cours théoriques de cuisine et de langues (français et anglais). Ces ateliers et cours présentent tous un intérêt particulier pour le développement personnel des femmes qui les suivent.

Emploi du temps des bénéficiaires.

Le yoga et le coaching personnel « sont utiles pour redonner aux femmes leur valeur, la confiance en elles et leur faire prendre conscience de leur statut de femme », explique Kenza Taarji. Les cours théoriques de cuisine « c’est pour prendre le temps de leur expliquer ce que signifient cuire “bleu” ou “à point” par exemple. Dans le rush, le matin et pendant le service, on leur dit quoi faire sans réelle pédagogie. Pendant le cours, on explique correctement. »

Enfin, les cours de langue sont primordiaux pour comprendre et créer un contact avec le client. Mais ce ne sont pas les favoris d’Hajar, qui préfère les cours théoriques d’art culinaire. « J’aimerais travailler en cuisine plutôt qu’en salle. Je ne suis pas à l’aise avec les clients à cause de la barrière de la langue », confie-t-elle. Mais aussitôt, la directrice la rassure : « Tu sais, ça ne veut rien dire ça, tu es là pour apprendre. Si tu veux le faire, tu le feras. » Timidement, Hajar Zazoura acquiesce avec le sourire.

Un pays coupé en deux 

Le Cameroun est divisé en deux parties depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vaincue, l’Allemagne quitte le territoire qui est alors partagé entre la France, pour la partie orientale, et le Royaume-Uni, pour la partie occidentale. Le pays devient indépendant en 1960. Les mouvements séparatistes anglophones débutent après la proclamation de la République unie du Cameroun en 1972. Ces contestations prennent un tournant politique à partir du milieu des années 1990.

Aujourd’hui, ce pays d’Afrique subsaharienne vit une guerre civile qui passe inaperçue. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone (20 % de la population du pays) proteste contre sa marginalisation. Les manifestations sont lourdement réprimées par le gouvernement en place.

La situation est alarmante, même si établir un bilan est compliqué. Il y aurait près d’1 millier de morts et 500 000 déplacés. Nées d’une crise socio-politique dans les régions anglophones du pays, ces tensions se sont transformées en conflit armé en 2017 entre les forces gouvernementales d’une part et différents groupes séparatistes d’autre part. La radicalisation de ce mouvement a été amplifiée par le blocage d’Internet dans une partie du pays entre février et avril 2017. Malgré une situation qui ne cesse de se dégrader, le conflit semble ignoré par la plupart des médias et la communauté internationale. Paul Biya, au pouvoir depuis trente-cinq ans, dissimule l’importance du conflit qu’il qualifie de simples « troubles ».