Le français, critère de sélection

Par Perrine BASSET et Lena PLUMER-CHABOT

Photos : Lena Plumer-Chabot/EPJT

Au Maroc, le français est enseigné à l’école mais peu de jeunes maîtrisent réellement la langue de Molière, pourtant indispensable pour suivre des études supérieures. En envoyant très jeunes leurs enfants à l’Institut français de Marrakech, certains parents investissent beaucoup pour leur avenir.

« La presse nous dit-elle la vérité ? » est inscrit au tableau. Douze  apprenants (élèves dans le langage de l’institu) font face à leur professeur d’une trentaine d’années, Mohamed Abaran, dans la grande salle de classe du lycée Victor-Hugo, à Marrakech. L’Institut français possède une annexe dans ces locaux. Il est 19 heures et le cours de français vient tout juste de commencer.

Après avoir passé les portiques de sécurité, les douze élèves ont pris place dans la salle. Ils apprennent le français depuis trois mois seulement. Tous majeurs, ils viennent de différents horizons : ils sont marocains, syriens, travailleurs, chômeurs ou encore étudiants… mais tous ont choisi d’apprendre le français pour diverses raisons.

Certains sont là dans le cadre professionnel, d’autres souhaitent partir étudier à l’étranger ou encore travailler dans les souks ou la Médina. Pour l’un des étudiants, ce cours a été un déclic : « Quand on est petit, on n’aime pas les langues. Mais quand on grandit, on comprend alors que c’est vraiment important. »

Mohamed Abaran enseigne le français aux élèves qui ont un niveau débutant.

Ce soir là, M. Abaran a choisi de ne pas suivre le programme habituel pour aborder la question de la presse au Maroc. Les élèves sont unanimes : ils n’ont pas confiance dans les médias. Le professeur dessine un schéma au tableau.

Selon les élèves, les problèmes viennent de la « politisation de la presse », des différents tabous qui sont liés à la monarchie, la religion, l’intégrité territoriale et « le manque de professionnalisation » des journalistes.

Par petits groupes, les élèves (« apprenants » dans le jargon de l’Institut) s’entraînent à l’écrit et beaucoup à l’oral.

 Une autre limite s’impose d’elle-même : 52 % des Marocains sont analphabètes. À chaque question posée, M. Abaran incite chacun à participer. La langue est parfois hésitante mais les élèves sont volontaires et prennent l’exercice à cœur.

« Il y a un problème dans l’enseignement du français dans l’espace public », relève Yasmine Mada, ancienne enseignante de français et coordinatrice pédagogique à l’Institut français de Marrakech depuis avril 2017. Pour elle, le problème réside dans la différence entre le peu d’enseignement du français au primaire et le niveau de langue attendu à l’université.

A l’Institut, on s’immerge dans la culture française grâce aux films projetés dans son cinéma ou aux représentations données dans son amphithéâtre extérieur.

« Le doyen de l’Institut, qui a 79 ans, parle un français impeccable », insiste Virginie Le Troquer, elle aussi coordinatrice pédagogique à l’institut. En effet, lorsque le Maroc était encore sous protectorat français (jusqu’en 1956), beaucoup d’enseignements se faisaient dans cette langue.

De plus, beaucoup de cours étaient prodigués par des professeurs arrivés de la Métropole. Les matières techniques, comme les mathématiques ou l’ingénierie, étaient expliquées en français.

Le tournant s’opère dans les années quatre-vingt, lorsque l’enseignement s’est arabisé. Aujourd’hui, les élèves suivent toute leur scolarité en arabe. « N’ayant pas une base solide en français, ils ont du mal à suivre les cours à l’université. Il y a donc une perte de potentiel », déplore Yasmine.

Mais l’Éducation nationale marocaine est en train de revoir les programmes, notamment le système du baccalauréat international où toutes les matières seraient en français.

L’Institut français dispose d’une médiathèque adaptée à tous les publics où les élèves peuvent profiter des abonnements et des ouvrages dans la langue de Molière.

Pour les deux coordinatrices, la langue de Molière est mal enseignée. Les professeurs donnent parfois des cours de français en arabe et les échanges entre élèves ont aussi lieu dans leur langue maternelle.

« Les méthodes employées fonctionnent avec un public natif, mais cela ne marche pas avec des enfants qui parlent arabe 80 % de leur temps », explique Yasmine. « Parfois, les enfants écrivent sans savoir parler la langue correctement », insiste Virginie Le Troquer.

Au sein des classes, la langue française façonne même des complexes. « Les enfants qui n’ont pas un bon niveau de français n’osent pas parler car cela signifie qu’ils viennent d’un milieu défavorisé. »

À l’Institut français, les élèves ne viennent pas tous de milieux aisés. Les tarifs des cours représentent environ la moitié d’un Smic marocain (2 570 dirhams, environ 257 euros). Ici, beaucoup de parents s’endettent pour l’éducation de leur enfant.