Étudiants noirs en afrique blanche

Par Melena HELIAS et Mélina RIVIÈRE

Photos : Mélina Rivière/EPJT

À Marrakech, les touristes affluent, mais l’identité cosmopolite de cette ville se retrouve aussi ailleurs. Les jeunes originaires d’Afrique subsaharienne forment 80 % des étudiants étrangers accueillis au Maroc. Toutefois, il n’est pas toujours simple pour eux de s’intégrer.

 Ivoiriens, Sénégalais, Congolais, Maliens ou encore Tchadiens : ils sont plus de 10 000 jeunes étrangers francophones à poursuivre leurs formations dans les 300 établissements d’enseignement supérieur que compte le Maroc. Ce qui en fait l’un des pays accueillant le plus d’étudiants subsahariens au monde.

En deux décennies, ce chiffre a explosé et pourrait encore augmenter dans les prochaines années. Effectivement, en France, la hausse des frais d’inscription universitaires pour les étudiants non-européens entrera en vigueur à la rentrée prochaine. Une mesure qui risque de freiner les étrangers convoitant les universités de l’Hexagone.

Plusieurs milliers ont opté pour Marrakech, pour des raisons diverses. La qualité des formations est souvent évoquée. Pourtant, d’après un rapport du Conseil supérieur de l’éducation paru en juillet 2018, les facultés marrakchies sont « surpeuplées », l’orientation pédagogique jugée « défaillante » et les étudiants « faiblement encadrés ». Mais les prix attractifs et la bonne réputation des différentes formations, comparée à celles dispensées dans les pays d’origine des étudiants, font du Maroc une destination qui continue de séduire.

La ville rouge héberge notamment l’Université privée de Marrakech (UPM). Sur ce campus, un quart des étudiants sont Subsahariens. Parmi eux, Pamela Kabré, 19 ans. Étudiante en droit privé et passionnée d’entrepreneuriat, cette Burkinabé se dit satisfaite par l’enseignement reçu. Pamela ne bénéficie pas de bourse d’études, mais elle peut compter sur le soutien financier de ses parents. Au-delà de la qualité de la formation, la jeune étudiante est satisfaite de son intégration : « J’ai des amis camerounais, congolais, mais pas de burkinabés car je suis la seule sur le campus. Ça m’a permis de m’adapter au milieu. »

Pamela Kabré ambitonne de lancer une marque de cosmétiques.

Comme beaucoup, Pamela Kabré aurait préféré faire ses études en France. « Mais j’ai raté les inscriptions à Campus France pour étudier à Nice », précise-t-elle. Aujourd’hui, elle n’a aucun regret. « Je n’avais même pas prévu de venir au Maroc. Finalement, il s’est avéré que c’est le meilleur choix. »

Le royaume marocain octroie 750 dirhams mensuels (75 euros) aux boursiers. La moitié des étudiants d’origine subsaharienne en bénéficient. En fonction des États dont ils sont ressortissants, des bourses supplémentaires peuvent leur être allouées.

Le coût de certaines études étant élevé, la contribution des familles est parfois indispensable. Bouchra Abdel-Hakim, étudiante tchadienne de 21 ans, admet que sans ses parents, elle n’y serait jamais parvenue. « Je ne suis pas boursière et je suis venue avec les moyens de la famille. C’est une chance d’avoir des parents qui te soutiennent aussi loin dans tes études. »

Parfois, il faut se débrouiller seul. De février à mars dernier, une étudiante – qui souhaite garder l’anonymat – a par exemple été contrainte de travailler comme réceptionniste dans un spa fraîchement ouvert. En plus des cours, elle travaillait chaque jour de 18 heures à 2 heures du matin. Ces horaires difficiles – qui l’on empêchés d’être concentrée en cours – et le salaire extrêmement bas qu’elle touchait ont finalement eu raison d’elle et elle a abandonné ce job.

Après sa licence de cinéma à l’Esav, Djibril Cissé souhaiterait réaliser son master à Bruxelles.

Dans certains pays d’Afrique noire, ce sont parfois les particularités culturelles qui peuvent pousser à l’exil scolaire. « Quand tu es une fille au Tchad, c’est vraiment difficile de continuer après la licence et même le baccalauréat, explique Bouchra. Beaucoup de celles avec lesquelles j’ai étudié ont arrêté l’école, soit-disant parce qu’elles devaient être femmes au foyer ou parce que leurs parents estimaient que ce n’est pas nécessaire pour une fille d’étudier. »

Le nombre de filles sur le campus marocain est effectivement très bas : « Nous sommes environ 90 Tchadiens pour 15 Tchadiennes », précise Taher Abderaman, un étudiant en troisième année de droit.

La barrière linguistique est aussi une contrainte forte. Si les élèves marocains apprennent le français à l’école primaire, l’arabe demeure la langue la plus utilisée. Dans l’enseignement supérieur, il arrive ainsi que le daridja (l’arabe local), soit employé par certains professeurs. Ce qui a pour conséquence de tenir les étudiants subsahariens à l’écart.

« Quand ils sont entre eux, les Marocains parlent daridja. Ça contribue pour beaucoup à mon sentiment de solitude », analyse Djibril Cissé, 30 ans et étudiant sénégalais à l’école supérieure des arts visuels de Marrakech.

Dans d’autres formations, comme en sciences de la gestion, qui est le domaine d’études de Bouchra Abdel-Hakim, étudiante tchadienne de 21 ans, les professeurs dispensent les cours en français et en anglais. « Mais parfois, ils oublient qu’il y a des Subsahariens dans la salle et se mettent à parler en arabe. Est-ce qu’ils nous voient ? Est-ce qu’ils pensent à nous ? » s’interroge-t-elle, amère.

Si certains y voient du racisme, pour d’autres, comme Bouchra, ce n’est qu’une question de culture et d’éducation. « Je n’ai jamais vécu d’acte de racisme. Depuis que je suis ici, je trouve les Marocains plutôt très accueillants. On a tissé des liens très facilement avec des amis à l’école. Je pense que tout dépend des personnes que l’on côtoie. Le racisme se trouve dans tous les pays et c’est une question d’éducation et pas de nationalité ou d’origine », explique la jeune femme.

Bouchra veut retourner travailler au Tchad après ses études.

Le racisme, qui passe souvent par de simples regards, est toutefois pointé du doigt par certains. Cela étant, les bancs de la faculté paraissent épargnés et c’est plutôt dans la rue que les exilés y sont exposés. « Un jour, à Casablanca, j’ai été insulté par un enfant », se souvient Djibril Cissé.

En tant qu’étudiant subsaharien, « il faut être blindé psychologiquement », reconnaît-il. Lui trouve l’intégration particulièrement difficile : « Dans la société sénégalaise, l’hospitalité est une valeur importante. Or, depuis que je suis arrivé à Marrakech, il y a un an et demi, je ne suis jamais entré dans une maison marocaine », regrette-t-il.

La lourdeur administrative peut aussi peser sur le quotidien de ces jeunes, au moment du renouvellement des titres de séjour. Mais en dépit de toutes ces difficultés, ils continuent d’affluer pour des raisons à la fois géographiques et économiques. Il arrive même que certains, comme Omar Tounkara, 28 ans, Malien doctorant en droit, fassent le choix de s’installer. « Cela va faire dix ans que je vis à Marrakech. Je me sens plus chez moi ici qu’au Mali. »

Un pays coupé en deux 

Le Cameroun est divisé en deux parties depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vaincue, l’Allemagne quitte le territoire qui est alors partagé entre la France, pour la partie orientale, et le Royaume-Uni, pour la partie occidentale. Le pays devient indépendant en 1960. Les mouvements séparatistes anglophones débutent après la proclamation de la République unie du Cameroun en 1972. Ces contestations prennent un tournant politique à partir du milieu des années 1990.

Aujourd’hui, ce pays d’Afrique subsaharienne vit une guerre civile qui passe inaperçue. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone (20 % de la population du pays) proteste contre sa marginalisation. Les manifestations sont lourdement réprimées par le gouvernement en place.

La situation est alarmante, même si établir un bilan est compliqué. Il y aurait près d’1 millier de morts et 500 000 déplacés. Nées d’une crise socio-politique dans les régions anglophones du pays, ces tensions se sont transformées en conflit armé en 2017 entre les forces gouvernementales d’une part et différents groupes séparatistes d’autre part. La radicalisation de ce mouvement a été amplifiée par le blocage d’Internet dans une partie du pays entre février et avril 2017. Malgré une situation qui ne cesse de se dégrader, le conflit semble ignoré par la plupart des médias et la communauté internationale. Paul Biya, au pouvoir depuis trente-cinq ans, dissimule l’importance du conflit qu’il qualifie de simples « troubles ».