Soumise aux dogmes religieux, l’éducation sexuelle est tabou au Maroc.
Les jeunes doivent donc se frayer un chemin entre non-dits et interdits.
« Lorsque j’étais plus jeune, en première année de collège, j’ai eu mal aux tétons. Je ne savais pas d’où cela pouvait venir alors je l’ai dit à ma mère. Elle a pris un rendez-vous chez le médecin pour le soir-même et en a parlé à ses collègues à qui elle expliquait pourquoi elle devait quitter le travail plus tôt. C’est un collègue, homme, qui lui a appris que c’était tout simplement un symptôme de la puberté. »
Cette anecdote, racontée par Walid Ouarbya, 20 ans, jeune étudiant de l’École nationale d’architecture de Marrakech (Énam), montre qu’il existe parfois, au Maroc aussi, une méconnaissance des changements physiques et physiologiques liés à l’adolescence.
Les jeunes se sentent livrés à eux-mêmes dans la jungle qu’est la puberté. Mais peut-on reprocher aux seules familles de ne pas assez informer leurs enfants à ce sujet, si elles-mêmes n’ont pas reçu d’éducation sexuelle ? De nombreux tabous persistent encore sur la sexualité au Maroc. Tout est hchouma (honteux) ou haram (péché) dès lors que cela touche au corps. Mais il paraît difficile d’éduquer la jeunesse dans un pays où le code pénal condamne l’homosexualité, la sexualité hors mariage et l’adultère.
Aujourd’hui, les programmes scolaires officiels intègrent des notions d’éducation sexuelle. D’après les dires de deux responsables de l’Académie régionale de l’éducation et de la formation de Marrakech-Safi, le sujet serait même abordé dans trois matières étudiées entre le primaire et le lycée : les sciences de la vie et de la terre (SVT), l’éducation familiale et l’instruction islamique.
Dès l’école primaire, une représentation très simplifiée des organes génitaux ainsi que du concept de la reproduction des animaux et végétaux est proposée dans les manuels de SVT. « On essaye de montrer que c’est une fonction naturelle », expliquent les deux responsables.
Le « niveau de formulation des concepts », à savoir leur précision et l’exhaustivité des schémas, augmentent au fil des années d’études pour aborder plus directement la puberté, la reproduction humaine et la contraception.
Pourtant, les jeunes Marocains n’estiment pas avoir reçu une éducation sexuelle digne de ce nom, contrairement à ce qu’avancent ces responsables. « Nous avons quelques petites idées sur la sexualité à l’école, notamment en cours de SVT mais il s’agit simplement d’une approche scientifique et biologique », raconte Oumnia Ouikassi, une étudiante de 20 ans.
« Je n’ai jamais entendu parler de la notion de plaisir », témoigne également Walid.
Quant à l’éducation familiale, un cours qui n’est pas dispensé dans tous les lycées, elle permettrait d’aborder le sujet par le prisme de la famille, notamment auprès des jeunes filles, les garçons apprenant des notions « plus technologiques ».
Plus surprenant encore, la sexualité ne serait pas exclue des cours d’instruction islamique. Entre les permissions et les interdictions, il y aurait « une discussion possible sur le sujet ». Pour les deux responsables de l’académie, « on ne peut plus faire de la sexualité un tabou au Maroc ».
La contraception, elle, est évoquée très brièvement, sans approfondissement sur ses bénéfices : « C’est juste un trailer (une bande-annonce, NDLR) », sourit Oumnia. « Au Maroc on parle beaucoup, mais pas des choses qui comptent », renchérit Nour Boudanga, 20 ans. Un survol qui n’est pas sans lien avec la loi interdisant les relations sexuelles hors mariage.
L’éducation sexuelle des jeunes Marocains se fait donc dans les coulisses. « C’est quelque chose dont on parle entre amis », témoigne Nour. Unanimes, les étudiants affirment pouvoir parler ouvertement de ce sujet avec leurs amis, même si une gêne persiste parfois avec les jeunes issus de familles plus conservatrices.
Quant à Salma Mounir, jeune influenceuse marrakchie de 20 ans, une « majeure partie » de son éducation sexuelle « s’est faite par la télévision et les séries ». Mais c’est surtout l’essor d’Internet qui a sensiblement changé la donne.
Des comptes Instagram comme celui de Machi Hchouma voient le jour, pour « libérer la parole et la conscience ». Créé par deux étudiantes qui se disent « profondément féministes », il est destiné aux deux sexes. Les deux jeunes femmes résument ainsi l’éducation sexuelle « en un paquet de serviettes hygiéniques et une méconnaissance aussi irritante et inconfortable que [des] Always ». Sur leur compte Instagram, elles traitent des règles, des protections hygiéniques ou encore de l’anatomie de la vulve.
Cet aspect secret de la sexualité, la sociologue Soumaya Naamane Guessous l’explique par « la crainte de sublimer l’acte et d’exciter les adolescents. On n’en parle pas pour ne pas encourager », affirme-t-elle. Et pourtant, les interrogations ne manquent pas : « Les jeunes hommes se demandent s’ils sont normaux, avec leur érection ou la dimension de leur pénis. »
Selon la sociologue Soumaya Naamane Guessous : « Au Maroc, les recherches comprenant les mots sexe et sexualité sont très nombreuses. Cela complète l’éducation sexuelle des jeunes Marocains. » Walid ne s’en cache pas : « Quand tu penses avoir une anomalie, tu n’oses parfois même pas en parler avec tes amis, alors tu cherches sur Internet. »
Dans le corps enseignant, certains professeurs, plus ouverts et conscients de l‘importance de dispenser une éducation sexuelle, parviennent à aborder le sujet par des moyens détournés. « J’ai eu un professeur de français qui nous a fait faire des exposés sur la puberté ou la contraception, raconte Haytham Touirid, 22 ans. C’était donc à nous de faire nos propres recherches. Mais il ne fallait pas que l’on découvre que ce professeur sortait du programme. »
Chafik Chraïbi, gynécologue et président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac), déplore également le manque d’éducation sexuelle au sein des établissements scolaires : « Les jeunes Marocaines ne savent pas que l’on peut tomber enceinte en étant vierge, qu’une pilule ne se prend pas juste pendant le rapport sexuel mais tout le long d’un mois et qu’il existe une contraception d’urgence. »
Les contestations venues de toutes parts participent à une prise de conscience de l’importance de l’éducation sexuelle. Des associations et des intellectuels militent ainsi pour supprimer les interdits pénaux liés à la sexualité au Maroc.
L’évolution des mentalités se mesure également au moment de « l’union sacrée ». Selon la sociologue Soumaya Naamane Guessous « de plus en plus d’hommes acceptent la non virginité de leur épouse et les femmes, de leur côté, assument davantage le fait de ne plus être vierge le jour de leur mariage. »
Le gynécologue a pourtant essayé d’introduire des ateliers et des conférences sur le sujet dans les universités, sans succès, car refusés par l’administration. « Selon une étude menée par notre association, 600 à 800 avortements seraient réalisés chaque jour au Maroc », estime le spécialiste. Les jeunes filles ne sont pas préparées aux grossesses non-désirées et multiplient les avortements.
Cette situation n’évolue que lentement, voire régresse. « Aujourd’hui, les médecins ont de plus en plus peur d’aller en prison et n’osent donc plus pratiquer l’avortement. Les femmes sont livrées à elles-mêmes. »
Le faible recours au préservatif participe aussi au phénomène des « mères célibataires ». « La sensibilisation est très faible, explique le gynécologue. Auparavant, il y avait des spots radio ou télévisuels, maintenant plus du tout. » Ce que la sociologue Soumaya Naamane Guessous confirme : « On ne traite de la contraception qu’une fois par an pour parler du sida, des IST (infections sexuellement transmissibles, NDLR) et MST (maladies sexuellement transmissibles, NDLR). »
La sociologue met aussi en avant le rôle de la famille dans l’éducation sexuelle : « Les parents qui ont été à l’école et ont reçu une éducation sont conscients des enjeux de l’éducation sexuelle. Les enfants sont plus ou moins bien informés selon la famille dans laquelle ils grandissent. »
Si, aujourd’hui encore, il est impossible de réserver une chambre d’hôtel pour un homme et une femme sans prouver leur statut matrimonial, le poids de l’interdit semble s’alléger. « La société devient de plus en plus ouverte, surtout dans les milieux sociaux les plus élevés, où il n’y a plus de tabous », relève Chafik Chraïbi.
[INTERVIEW] « Je peux dire à mes parents que j’ai un copain mais pas que je couche avec lui »
Salma Mounir est une Marrakchie de 20 ans, étudiante en deuxième année en sciences et santé, spécialité « nutrition et diététique ». Elle est également influenceuse sport et rassemble plus de 57 000 abonnés sur son compte Instagram.
Salma Mounir, 20 ans. Photo : Élise GILLES/EPJT.
Observes-tu une différence entre les filles et les garçons en ce qui concerne l’éducation sexuelle ?
Salma Mounir. Personne n’en parle mais, oui, il y a une différence. Un garçon est autorisé à faire plus de choses. Cet été je suis partie en vacances avec mon père, mon frère et sa copine. Elle a mon âge et ils dormaient tous les deux dans la même chambre. Tout le monde savait ce qu’il se passait mais personne ne disait rien. Je sais aussi que mon père a une vie sexuelle avec sa copine. Mais, moi, je n’ai pas le droit d’en avoir une. Pour une fille, sortir avec quelqu’un, ce n’est pas possible. La religion stipule que le sexe avant le mariage est un péché. Donc une fille qui se découvre ou qui cherche à savoir ce qu’est la sexualité, c’est forcément une mauvaise fille, une prostituée.
Te souviens-tu de la première fois où tu as eu un copain ?
S. M. À 16 ans, j’ai eu mon premier copain officiel. Je n’avais pas le droit d’aller chez lui mais nous y allions en cachette. La seule fois où j’ai pu me rendre chez lui avec l’autorisation de mes parents, c’est lorsque je leur ai dit que j’allais rencontrer sa famille. Autrement, je n’avais pas le droit d’être seule avec lui. Nous n’avions donc aucune intimité. Je peux dire à mes parents que j’ai un copain mais pas que je couche avec lui.
Quel regard tes parents portent-ils sur ton style de vie ?
S. M. Je sors beaucoup avec des garçons et je fais du sport avec eux. Le soir, je peux rentrer tard et ce sont souvent des copains qui me déposent à la maison. Je sais que le fait que le gardien de notre immeuble puisse voir ça dérange mon père. Mais il ne dit rien car il me fait entièrement confiance. En revanche, il a tendance à me poser des questions indirectes : « Combien de garçons seront présents ? Seras-tu seule avec eux ? » Il y a quelque chose qu’il me dit toujours à la fin d’une conversation : « Fais attention à toi. » Cela veut dire énormément de choses. Mais je lui dit de ne pas s’en faire. Je me préserve à ma manière.
Un pays coupé en deux
Le Cameroun est divisé en deux parties depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vaincue, l’Allemagne quitte le territoire qui est alors partagé entre la France, pour la partie orientale, et le Royaume-Uni, pour la partie occidentale. Le pays devient indépendant en 1960. Les mouvements séparatistes anglophones débutent après la proclamation de la République unie du Cameroun en 1972. Ces contestations prennent un tournant politique à partir du milieu des années 1990.
Aujourd’hui, ce pays d’Afrique subsaharienne vit une guerre civile qui passe inaperçue. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone (20 % de la population du pays) proteste contre sa marginalisation. Les manifestations sont lourdement réprimées par le gouvernement en place.
La situation est alarmante, même si établir un bilan est compliqué. Il y aurait près d’1 millier de morts et 500 000 déplacés. Nées d’une crise socio-politique dans les régions anglophones du pays, ces tensions se sont transformées en conflit armé en 2017 entre les forces gouvernementales d’une part et différents groupes séparatistes d’autre part. La radicalisation de ce mouvement a été amplifiée par le blocage d’Internet dans une partie du pays entre février et avril 2017. Malgré une situation qui ne cesse de se dégrader, le conflit semble ignoré par la plupart des médias et la communauté internationale. Paul Biya, au pouvoir depuis trente-cinq ans, dissimule l’importance du conflit qu’il qualifie de simples « troubles ».