Le tissu fragile de la mode

Par Benjamin BAIXERAS et Suzanne RUBLON

Photos : Suzanne RUBLON/EPJT

Les jeunes Marocains sont nombreux à vouloir intégrer le cercle très fermé de la mode internationale, tout en se démarquant ou en réinventant les codes traditionnels de leur pays. Mais très peu ont cette chance, faute d’aides et de moyens. 

Les ruines majestueuses du palais El Badi ont accueilli le défilé Dior, le 29 avril 2019. Une première pour la ville de Marrakech. Par cet événement, la mode internationale témoigne de son intérêt pour les cultures africaine et marocaine. Si cet engouement attire de nombreux stylistes de tout continents, il laisse une place restreinte aux jeunes créateurs marocains. Très peu ont eu la chance d’intégrer le cercle très fermé de la mode.

Au centre de la médina de Marrakech, à l’écart de l’agitation touristique, dans un immeuble traditionnel on découvre un magasin de haute couture. Le premier étage abrite de nombreuses collections mêlant modernité et tradition marocaine. Des sweat-shirts aux motifs berbères phosphorescents, des vestes dotées d’hijabs amovibles sont accrochés sur des pendants dorés, couverts de poèmes berbères. Ici, chaque détail contribue à créer un univers soucieux de revenir aux origines marocaines et africaines. Des colliers masaïs ou encore des bougies aux senteurs locales sont exposés, jusqu’aux murs ornés de tableaux africains.

« Couture and Bullshit » mise sur la qualité de ses produits. Elle collabore avec des ateliers traditionnels partout dans le monde.

Cette marque est le fruit du travail d’Amine Bendriouich, créateur de 34 ans né à Marrakech. Installé ici depuis deux ans, il souhaite, par la mode, « allier la tradition et la modernité pour essayer de définir l’identité marocaine et africaine ». Toutes ses créations sont unisexes et ce n’est pas un hasard. « Ce n’est pas un vêtement qui définit une personne, affirme t-il.  C’est celui qui le porte qui en fait l’accessoire de son attitude. » Après des études à Esmod, à Tunis, et des voyages dans le monde, Amine s’est lancé très jeune. Aujourd’hui, il se considère comme le premier créateur à avoir renouvelé la mode à Marrakech. Il estime que c’est un défi accessible à tous.

« Au lieu de se dire que c’est difficile, il faut toquer à toutes les portes. Si personne ne répond, il faut créer sa propre porte, et à la fin il y aura la queue devant. »  

Amine Bendriouich a collaboré avec de grands noms et des stars tels que Madonna ou Alicia Keys. Il incarne désormais la réussite. Mais ce succès ne doit pas masquer la réalité : les jeunes Marocains peinent à percer dans un secteur qui reste semé d’embûches.

Depuis son enfance, Amine Bendriouich veut être libre de s’habiller comme il veut, en short comme en jupe. 

Beaucoup d’adolescents rêvent en effet de suivre le parcours d’Amine Bendriouich mais les difficultés sont parfois insurmontables. Le manque d’argent pour entrer dans ce monde haut de gamme est le principal obstacle. Maroua Alla, jeune Marocaine de 22 ans, est diplômée de l’école CasaModa Academy de Casablanca. Après plusieurs années à travailler dans de grandes enseignes de prêt-à-porter à Marrakech, elle a décidé de lancer sa propre marque. Elle produit majoritairement des caftans auxquels elle ajoute une touche de modernité.

Aujourd’hui, elle n’arrive pas à vivre de sa passion qui nécessiterait des locaux et une boutique pour prospérer. Pour pallier cette précarité, elle est contrainte d’occuper un poste de chargée de vitrine dans un magasin. « Je pourrais vivre de ma marque mais le problème, c’est l’argent. Je fais tout chez moi, ce n’est pas professionnel. Vendre des habits haut de gamme nécessite un local tout aussi luxueux. »  

Maroua a toutefois réussi  à se faire connaître grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux. Son entourage lui a toujours déconseillé de se lancer dans sa passion, jugée sans avenir concret. « Mais j’avais un rêve et j’étais prête à tout sacrifier. Aujourd’hui j’en paye le prix. » Cette difficulté tient à l’image négative des métiers de la mode dans les mentalités marocaines. Un frein pour tous les jeunes qui souhaitent se lancer dans des études de stylisme.

Les métiers scientifiques ou technologiques sont bien mieux considérés que les pratiques artistiques, perçues comme un loisir. Dans la mode, les facteurs de réussite ne sont pas les mêmes que dans les métiers dits traditionnels et certains parents refusent que leurs enfants se lancent dans des études de stylisme, jugées moins stables.

Hajar El Mhammedi El Alaoui, 24 ans, est aujourd’hui étudiante en classe de deuxième option mode au collège Lasalle à Marrakech. Son arrivée dans le stylisme est toute récente. Tout au long de son parcours scolaire, ce sont ses parents qui ont choisi pour elle, avec une vision bien arrêtée de son avenir. « Ils m’ont forcé à faire un bac S pour ensuite passer deux ans à la fac et intégrer un institut de technologie appliquée. Après un an de chômage, j’ai insisté pour enfin étudier ma passion, la mode. » 

Hajar El Mhammedi El Alaoui a mis longtemps avant de convaincre ses parents que sa passion était un vrai métier.

La directrice du pôle Mode du collège Lasalle de Marrakech, Maryem El Alami, est consciente de ce problème. « La mode au Maroc a connu une phase de transition ces vingt dernières années. C’est une question de mentalité. Ça a pris du temps pour convaincre les parents que c’était un métier comme tous les autres. »

 Les responsables du collège Lasalle sont lucides sur les difficultés que les jeunes Marocains rencontrent à la sortie de leurs études. Cette école privée est une branche du groupe canadien du même nom, installée à Marrakech depuis 2007 avec plusieurs formations, dont la section mode.

Grâce à la maison mère, située à Montréal, elle offre à ses étudiants la possibilité de passer une quatrième année de professionnalisation à l’étranger. L’école souhaite ainsi ouvrir aux jeunes étudiants d’autres horizons que la mode marocaine. Selon la directrice, cet aspect international expliquerait le taux d’insertion professionnel de 100 % des diplômés.

Cependant, très peu d’entre eux arrivent à intégrer des maisons de créations modernes. Ils se tournent plutôt vers des ateliers de caftans et de vêtements traditionnels, ce qui marche le mieux. « Au Maroc, ce n’est que du modélisme. Il faut aller dans les grandes villes de la mode pour s’épanouir dans le stylisme », explique Hajar.

Les étudiantes de troisième année préparent leurs créations pour le défilé de fin d’année, à CasaBlanca.

L’accès à l’emploi est loin d’être garanti par toutes les écoles. Dans la promotion de Maroua, à l’école Casamoda de Casablanca, elles sont seulement deux sur quinze à avoir trouvé un travail.

Autre bémol, ces écoles, toutes privées, coûtent encore très cher. Pour suivre une formation au collège Lasalle, les familles doivent débourser près de 15 000 euros pour les trois années (5 000 euros par an). Les jeunes Marocains ne peuvent donc pas tous se lancer dans un milieu réservé aux plus aisés.

Un pays coupé en deux 

Le Cameroun est divisé en deux parties depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vaincue, l’Allemagne quitte le territoire qui est alors partagé entre la France, pour la partie orientale, et le Royaume-Uni, pour la partie occidentale. Le pays devient indépendant en 1960. Les mouvements séparatistes anglophones débutent après la proclamation de la République unie du Cameroun en 1972. Ces contestations prennent un tournant politique à partir du milieu des années 1990.

Aujourd’hui, ce pays d’Afrique subsaharienne vit une guerre civile qui passe inaperçue. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone (20 % de la population du pays) proteste contre sa marginalisation. Les manifestations sont lourdement réprimées par le gouvernement en place.

La situation est alarmante, même si établir un bilan est compliqué. Il y aurait près d’1 millier de morts et 500 000 déplacés. Nées d’une crise socio-politique dans les régions anglophones du pays, ces tensions se sont transformées en conflit armé en 2017 entre les forces gouvernementales d’une part et différents groupes séparatistes d’autre part. La radicalisation de ce mouvement a été amplifiée par le blocage d’Internet dans une partie du pays entre février et avril 2017. Malgré une situation qui ne cesse de se dégrader, le conflit semble ignoré par la plupart des médias et la communauté internationale. Paul Biya, au pouvoir depuis trente-cinq ans, dissimule l’importance du conflit qu’il qualifie de simples « troubles ».