Reconstruire pour se construire

Photo : Eléa N’Guyen Van-Ky/EPJT

Alexis est membre de l’association Live Love Beirut. Depuis un peu plus d’un an, ce jeune architecte s’attache à reconstruire les maisons démolies par l’explosion du 4 août 2020. En venant en aide aux personnes dans le besoin, il se détache d’une réalité devenue trop douloureuse.

Par Eléa N’Guyen Van-Ky

Le matin, les souks de Beyrouth s’animent peu à peu. Dans les allées, une dizaine de jeunes vont et viennent, chasuble bleu sur le dos, les bras chargés de décorations de Noël. Volontaires au sein de l’association Live Love Beirut, ils s’activent à transformer une boutique vide en un centre de dons.

Alexis, 24 ans, est l’un d’entre eux. Lorsqu’il ne répond pas à un énième appel téléphonique, Alexis parcourt la pièce avec assurance et vérifie que tout est en ordre. « Ici, il y aura des jouets, lance-t-il. À l’étage, il y aura des chaussures pour les grands et les petits. » Le jeune architecte gère pour la deuxième année consécutive le marché de Noël de l’association. L’an passé, 2 400 enfants en sont repartis le sourire aux lèvres. « Il y a des parents qui ne peuvent pas offrir de cadeaux à leurs enfants pour Noël. Ici, les familles pourront venir en chercher gratuitement. »

Lorsqu’il rejoint Live Love Beirut, le jeune homme est étudiant en architecture à l’Académie libanaise des Beaux-Arts (Alba). Une passion qu’il cultive depuis l’enfance et qui lui vient de son oncle, lui-même architecte. Une vocation qu’il nourrit de ses nombreux voyages en Europe, loin de sa maison familiale d’Achrafieh, à l’est de Beyrouth.

Un mois après l’explosion qui ravagea le port de Beyrouth et une partie de ses quartiers, la population s’organisait pour reconstruire la ville. Photo : Joseph Eid/AFP

Il arrive au sein de l’ONG alors que la capitale se relève difficilement de l’explosion du port. « Certaines personnes n’arrivaient pas à dormir dans leur maison parce qu’elles n’avaient pas de vitres, pas de toit ou à cause du bruit et des vols, raconte-t-il. Les pluies arrivaient au Liban. Donc la première phase, c’était de sécuriser ces gens-là. » Avec 5 000 dollars (environ 4 400 euros) collectés par l’association, six premières maisons sont reconstruites. Un an après : 1 million de dollars (0,8 million d’euros) collectés, 350 maisons, 30 immeubles et 50 magasins sont rebâtis.

 

« Personne ne croyait qu’on y arriverait, poursuit Alexis. Si vous allez voir les bureaux, il n’y a que des jeunes de 20 à 25 ans, des gens qui n’avaient jamais travaillé dans ce secteur. Au Liban, il n’y a pas eu de phase post-catastrophe planifiée par l’État. Ce sont ces jeunes-là qui l’ont fait. C’est eux qui ont aidé le Liban. »

En venant en aide aux personnes vulnérables, Alexis donne un sens à son métier. L’explosion, la troisième qu’il vit, lui montre une facette de l’architecture qu’il ne connaissait pas : « J’ai toujours vu l’architecture comme une matière où on crée un design pour que les gens achètent une maison et l’habitent. Mais après l’explosion, je me suis rendu compte qu’une maison, c’est aussi un refuge et que l’on peut, avec une fenêtre ou une porte, en redonner une à une famille. »

« Du jour au lendemain, on peut se retrouver sans rien »

Ses pensées le ramènent parfois à cette soirée d’août : le bruit assourdissant, l’adrénaline, la vapeur très chaude, la poussière dans l’air. Avant le drame, Alexis envisageait de quitter le pays. « Je suis toujours au Liban pour une chose : j’aime ce que je fais, confie-t-il. Mon envie d’aider ces gens-là, je ne l’ai jamais ressentie avant. Je suis prêt à le faire toute ma vie. »

Ses parents préféreraient qu’il parte, comme la majeure partie de sa famille et de ses amis avant lui. Mais l’ONG, « c’est comme une échappatoire à ma réalité. J’ai deux bulles, une à la maison et une à Live Love. Quand je suis à la maison, je vois cette réalité qui est hyper moche pour moi et quand je travaille, je la range ».

L’incertitude le gagne lorsqu’il évoque le futur : « Au Liban, on ne peut pas savoir à quoi ressembleront les prochains jours parce qu’à n’importe quel moment, on peut ne plus avoir d’essence ou d’électricité. On peut se retrouver sans rien. » L’espoir d’Alexis est parti en fumée. Mais son éternel optimisme finit toujours par prendre le dessus : « Depuis qu’ils sont petits, les Libanais écoutent, vivent les manifestations, les guerres civiles. Le peuple libanais, il est prêt à tout. »