« La libération du Liban passera par la libération de la femme »

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Rima Tarabay, ancienne conseillère politique, participe aux manifestations depuis le début du mouvement. Elle analyse les promesses de celui-ci pour les femmes libanaises mais aussi pour son pays tout entier.

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De 1992 à 2005, Rima Tarabay était conseillère en communication pour Rafic Hariri, ancien Premier ministre libanais. Entre 2005 et janvier 2019, elle a ensuite travaillé pour Saad Hariri. Elle s’est notamment occupée des relations du précédent Premier ministre avec l’Union européenne et le parlement français. Rima Tarabay présidente de l’ONG Bahr Loubnan qui a pour but de préserver la biodiversité.

Quelle est la place de la femme dans la société libanaise en temps de guerre ou de révoltes ?

Rima Tarabay. Nous vivons dans un système très patriarcal, notamment en matière de droit. À chaque crise, des femmes s’engagent. Moi-même, je me suis engagée lors la guerre civile (1975-1990, NDLR).

En tant que femme, s’engager est un moyen de s’émanciper de cette société patriarcale. Lors de mouvements de révoltes, les femmes profitent de la conjoncture historique pour d’essayer d’exister autrement que dans le rôle où elles sont confinées. En période de crise comme aujourd’hui, les femmes ne sont pas stigmatisées. Le sexisme disparaît. Elles ont les mêmes rôles que les hommes. Elles utilisent cette révolte pour se libérer. Aujourd’hui, la difficulté est de mettre en place une séparation entre les religions et l’État. Les premières bénéficiaires de cette séparation seraient les femmes parce qu’elles obtiendraient ainsi le mariage civil (encore interdit au Liban, NDLR), le droit à l’avortement, le droit d’avoir des enfants sans être mariée. La femme est beaucoup plus concernée par les questions de laïcité que les hommes.

Ce constat est-il valable pour d’autres territoires que le Liban ?

R. T. Ce n’est pas le seul pays concerné. On remarque le même phénomène dans des pays limitrophes. Étrangement, en période de guerre, la femme est acceptée au sein de la société. Les femmes kurdes se battent pour leurs droits en Syrie depuis des années. Même chose pour les Irakiennes. Elles sont exemplaires. Dans ces sociétés patriarcales, elles tiennent les mêmes rôles que les hommes. Elles prennent les armes comme eux, vont au front comme eux.

Au début du mouvement, en novembre, Dana, une activiste de 22 ans, écrit sur une pancarte le slogan « Ma nationalité, ma dignité ». Une des revendications des Libanaises est de pouvoir transmettre leur nationalité à leurs enfants. Photo : Anwar Amro/AFP

Quel regard avez-vous sur les femmes du mouvement libanais ?

R. T. C’est amusant, mais je trouve qu’elles crient beaucoup plus fort que les hommes et sont plus souvent au front qu’eux. Elles ont de vrai leadership, elles s’occupent d’affréter des moyens pour faire venir des gens des différentes régions pour manifester.

Pensez-vous que la libération de la femme dans la société libanaise se fera rapidement ?

R. T. C’est un long chemin. Toutes celles qui manifestent aujourd’hui ne sont pas politisées. Elles n’ont pas toutes les mêmes expériences ni les mêmes ambitions politiques. Ce n’est d’ailleurs pas leur rôle en tant que manifestantes. Je pense qu’elles ne seront présentes au parlement que lorsqu’un quota sera imposé. Cela dit, il me semble qu’il faut séparer la volonté politique de la rébellion. Être dans la rue, crier et manifester ne signifie pas qu’on fera une bonne élue politique. Mais si nous cessions notre mobilisation, nous manquerions une occasion de progresser en termes de droit. La libération du Liban passera par la libération de la femme.

Photo : Anwar Amro/AFP

Comment cela peut-il se traduire politiquement dans les années à venir ?

R. T. Dans le gouvernement actuel, il y a plus de femmes que dans le précédent. On peut s’en féliciter. Avec une nuance. Le vrai indice de changement, ce sera le parlement. Des femmes vont-elles se présenter aux élections ? Ce n’est si évident. Ce n’est pas parce qu’on voit énormément de femmes dans la rue aujourd’hui qu’il y aura 50 % de femmes au parlement aux prochaines élections.

Quel regard portez-vous sur l’avenir du Liban ?

R. T. Pour le moment, la révolution n’a pas vraiment fait bouger les choses. Le 11 février 2020, le parlement a bien accordé sa confiance au gouvernement. Les manifestants n’ont pas réussi à l’empêcher. Il n’y a pas de réalisations concrètes pour le moment. En revanche, nous commençons à mobiliser des citoyens, on parle d’un État laïque. Certains commencent à parler d’élections législatives laïques et ça, c’est énorme. Je pense que les femmes peuvent avoir un rôle plus important que les hommes dans ce discours-là.