Photos : Camille Granjard/EPJT
Depuis deux ans, Mo se transforme en Hoemoe, un drag queen, sur la scène libanaise. Une façon pour lui d’échapper à la réalité de son pays, meurtri par la crise et l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020.
Par Camille Granjard. Avec Flavie Motila
Depuis, il revêt l’habit d’Hoemoe, son nom de scène, pour des spectacles. « Je m’exprime à travers l’art, le maquillage, les vêtements du sexe opposé. Je m’identifie comme un homme hors du drag, précise Mo, et comme une femme en drag queen. »
Il nous accueille dans son appartement en Hoemoe, maquillage impeccable, cigarette à la main. Nous utiliserons donc surtout le pronom « elle » dans cet article. Hoemoe fait des shows dans des fêtes d’anniversaire ou de célibataires. Sur Instagram, elle a près de 3 000 abonnés. Elle aime montrer son personnage en postant les photos de ses shootings, plusieurs fois par mois.
Dans l’appartement qu’elle occupe en colocation, une pièce a été aménagée en studio photo, avec des projecteurs, des ring light (anneaux de lumière). Ce soir-là, elle pose pour nous presque nue, simplement habillée par des morceaux de carton noirs, en référence à Madonna et à son livre Sex. « J’aime surtout la culture américaine. Je n’ai pas beaucoup de références libanaises et la plupart de mon public est étranger », regrette-t-elle.
Des accessoires de maquillage et des vêtements au sol et aux murs révèlent sa passion pour l’univers de la mode. Soudain, les lumières s’éteignent. Une coupure d’électricité a encore plongé Beyrouth dans le noir.
L’essence qui alimente les centrales est devenue un bien rare, très cher, forçant les Beyrouthins à passer la majorité de la journée sans courant. Seuls les Libanais les plus aisés peuvent se payer des générateurs privés. La livre a perdu plus de 90 % de sa valeur face au dollar. L’inflation atteint 84 % entre 2019 et 2021.
La crise économique et financière n’épargne pas Hoemoe, même si elle s’estime chanceuse : « Je vais bien financièrement parce que j’ai eu mon travail avant que tout cela n’arrive, mais certains moments sont difficiles. La nourriture, les médicaments… Tout est cher. Y compris le maquillage. »
L’homosexualité comme crime
L’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, et la situation économique ont affecté tous les habitants, et notamment la communauté LGBTQI+. Dans le quartier jeune et vivant d’Hamra, de nombreux lieux gayfriendly ont été soufflés par l’explosion et ont dû fermer leurs portes. C’est le cas du Bardo, un bar gay et haut lieu de la fête pour les Libanais queer. Hoemoe monte bien moins sur scène. La communauté queer se retrouve démunie sans les rares lieux où elle pouvait se montrer et être elle-même.
Le Liban est considéré comme l’un des pays les plus libéraux du Moyen-Orient mais l’homosexualité y est toujours pénalisée. Ceux qui ont des relations sexuelles homosexuelles s’exposent à une peine de prison et une amende.
Un jour, alors qu’elle se rend à l’un de ses spectacles drag, Hoemoe se fait arrêter par la police. « Qu’est-ce que tu es ? », l’interrogent-ils. Ils lui demandent de retirer son maquillage, ses vêtements, pour prouver son identité puisqu’elle ne ressemble pas à ses papiers, à Mo. Pas intimidée, Hoemoe leur propose de l’accompagner à son spectacle pour ensuite, une fois le show fini, pouvoir leur montrer son autre visage. Contre toute attente, ils la suivent. À la fin du spectacle, les policiers ne lui causent pas de problème.
Au Liban, c’est surtout montrer en public des relations homosexuelles qui est dangereux. Hoemoe sort toujours avec une bombe à poivre. « Dans ma chambre, il y a des tas de bouteilles vides », décrit-elle.
Après son coming-out, Mo a du partir de chez lui, parce que les relations avec ses parents sont devenues compliquées. Sa mère s’inquiète pour lui, des agressions qu’il peut subir quand d’autres jeunes gays sont mis à la porte et doivent se débrouiller seuls pour survivre. La crise n’arrange rien. Mo n’a pas dit à ses parents qu’il fait du drag. Un secret, qu’il aimerait confier à sa famille dans les moments difficiles qu’il traverse.
« J’avais juste besoin de m’échapper pour oublier ce qui s’était passé »
Homoe
« [Avec l’explosion], on a perdu nos maisons, nos abris. Nos proches. J’étais accablée, confie-t-elle. J’avais juste besoin de m’échapper pour oublier ce qui s’était passé, témoigne-t-elle, la voix tremblante. Et ne pas faire face à la réalité parce qu’on a perdu des proches. »
De nombreux habitants fuient le Liban, surtout vers les pays du Golfe ou vers l’Europe. Entre janvier et avril 2021, environ 230 000 Libanais seraient partis à l’étranger. Un constat qui touche encore plus la jeunesse : 77 % des jeunes Libanais disaient réfléchir activement à quitter leur pays en 2020. Hoemoe aussi pense à partir, pour développer sa carrière ailleurs, en France, en Italie ou au Canada : « Si je veux avoir le minimum pour vivre convenablement, ce qu’un gouvernement est censé fournir, je ne vais pas rester ici. Parce que vivre ici, c’est… impossible. »
Pour l’instant, c’est son personnage qui lui permet de s’évader : « Être un drag queen, c’est une échappatoire à la merde qui m’entoure. » Et, au-delà de ce que cet art lui apporte, c’est un acte politique, une manière d’aller dans l’extrême pour montrer ce qu’il est possible de faire, notamment pour les personnes homosexuelles. Elle rend visible la communauté LGBTQI+ et montre qu’il existe de multiples façons de vivre son identité, sans être assigné à un genre. « Chacune de mes performances porte un message, explique Hoemoe, lié à l’identité, à l’acceptation. » La communauté LGBTQI+ libanaise est principalement basée à Beyrouth, estime Hoemoe : « C’est comme une petite famille. »