Ritalyne, l’art de (sur)vivre

Photo : Lisa Morisseau/EPJT

À tout juste 20 ans, Ritalyne Anksoury a lancé avec succès son affaire de carnets faits main. Se refusant à baisser les bras dans un pays dont l’économie s’effondre, elle utilise son art pour s’échapper.

Par Flavie Motila

Les Beyrouthins sont nombreux à flâner dans les allées du souk El Tayeb en ce week-end avant les fêtes de fin d’année. Certains se penchent sur des bandes-dessinées vintage et achètent des produits locaux, d’autres sirotent un verre au comptoir de limonade artisanale. Ritalyne Anksoury est assise derrière son stand. Son père l’a aidée à le monter un peu plus tôt dans la journée. Une petite arche en bois surplombe les carnets de notes éparpillés, mais ordonnés, qu’elle a fabriqués et peints. Concentrée sur l’une de ses œuvres, elle ne redresse la tête que lorsqu’un passant admire ses créations. Elle l’accueille avec un large sourire et une assurance qui dissimulent son jeune âge – tout juste 20 ans. « C’est le cinquième événement auquel je participe depuis que j’ai lancé mon affaire. Les ventes sont bonnes, j’ai de la chance », se réjouit-elle.

Ritalyne présente aux passants ses œuvres artisanales. Photo : Nicolas Sourisce/EPJT.

Son « affaire » a débuté en mars 2020 dans sa chambre, dans la maison familiale près du Mont-Liban. Tout le pays est alors sous cloche pour cause de pandémie de coronavirus. Enfermée entre quatre murs, elle décide de consacrer tout son temps à son art. Sa famille et ses amis la soutiennent.

La jeune femme sait y faire avec les réseaux sociaux et crée une page Instagram : PieceofSoul, comprenez « bout d’âme ». Elle y poste des photos de ses créations : des marques pages, des carnets de notes et de dessins, recouverts de motifs qu’elle a peints.

Au fil des semaines, son nombre d’abonnés grimpe. Dix, puis cinquante, puis cent s’invitent dans ses messages pour lui passer commande. « Il y a un petit changement dans les mentalités au Liban. Avec la crise, de plus en plus de personnes préfèrent soutenir les petites entreprises locales. Les produits d’importation sont devenus très chers pour nous », remarque-t-elle. Son affaire décolle, tandis que des piles de colis à envoyer s’amoncellent près de son lit.

L’inquiétude se lit sur son visage lorsqu’elle évoque ses rêves et ses projets. « Je ne fais pas d’études. Les frais d’inscription varient sans cesse. J’avais pour objectif de faire une école d’art, je voulais être architecte d’intérieur. Mais avec la crise économique, tout est devenu trop cher. » Ritalyne envisage plutôt les études de marketing. « J’aimerais apprendre à développer ma petite entreprise, et pourquoi pas l’internationaliser », ajoute-t-elle, un brin plus optimiste.

Des trésors pour s’évader

Son art et son affaire lui offrent une bouffée d’air, une échappatoire. « Je collectionne les carnets depuis toute petite. J’aime y écrire et y dessiner tout ce qui me passe par la tête. Ce sont des objets précieux. Ils renferment des trésors », s’enthousiasme la jeune peintre.

Elle a décoré les couvertures de ses carnets vierges de fruits et de fleurs orange, violettes et vertes, s’inspirant des paysages de sa région natale. « Il y a beaucoup de végétation à côté de chez moi. Nous sommes entourés de forêt. Nous avons même un jardin. Nous y plantons légumes et fruits, puis les cueillons pour nous nourrir », décrit Ritalyne.

La jeune artiste s’accroche et apprend à rebondir malgré des conditions de vie qui se dégradent de jour en jour au Liban.

Les carnets fabriqués et peints par Ritalyne. Photo : Ritalyne/Instagram.

Les pannes d’électricité l’empêchent de peindre : elle trouve des LED pour s’éclairer. Son père perd son emploi : elle travaille dans une supérette et utilise l’argent des ventes de carnets pour subvenir aux besoins de sa famille. « Nous sommes en mode survie. C’est difficile mais nous faisons au mieux. Vous savez, les Libanais sont des optimistes. Même s’ils choisissent de quitter le pays, ils finissent par revenir », dit-elle. Ses amis et amies sont nombreux et nombreuses à s’exiler. Ritalyne ne cache pas que si elle en avait les moyens, elle aussi s’envolerait vers l’étranger.